Brockhampton, prêts à en découdre avec le reste du monde

Présenter BROCKHAMPTON est presque vain tant le groupe mute d’album en album et que chaque membre a une personnalité très affirmée. Définir leur style serait forcément réducteur et exclurait une part de leur créativité débordante, mais autant tenter, quitte à ne pas être exhaustive, plutôt que de taire leur nom. 

 

Brockhampton, prêts à en découdre avec le reste du monde

 

Niveau factuel, le collectif, ou plutôt supergroup, comme ils aiment s’appeler, est composé d’une douzaine de membres américains et irlandais qui se sont rencontrés via un forum de fans de Kanye West. Si le groupe ne désigne aucun leader, Kevin Abstract est celui qui endosse le rôle de manière officieuse, en véritable trait d’union entre chaque membre et surtout fort d’une carrière solo avant le groupe.

Mais si aujourd’hui Hardies s’arrête sur eux, c’est pour leur sixième et dernier album Roadrunner : New Light, New Machine sorti le 9 avril dernier. Comme à leur habitude, cet album est un concentré d’inspirations aussi diverses que variées, allant d’Hannah Montana à Bob Dylan, en passant par Rick James, un véritable collage hétéroclite d’univers hauts en couleurs. Mais comment ne pas s’éparpiller – comme il a pu leur être reproché dans leurs précédents opus – avec de telles références et produire une œuvre qui fait sens ?

Si Romil Hemnani a toujours assumé, plus ou moins seul, le rôle de producteur au sein du groupe, il a cette fois à ses côtés deux monstres de la production musicale américaine ; avec d’un côté Rick Rubin, producteur aussi bien de Shakira, que de Metallica, en passant par Kanye et de l’autre RZA, qui n’est autre que le fondateur du Wu-Tang Clan… Cette incursion de producteurs extérieurs permet une canalisation des énergies de chaque membre, des samples inattendus et des expérimentations encore plus maîtrisées que dans leurs productions précédentes. 

 

 

De manière inopinée, quelques featurings bien sentis parsèment également l’album. Sur Roadrunner ils ont fait appel, entre autres, à Danny Brown sur BUZZCUT et JPEGMafia sur CHAIN ON, deux artistes triés sur le volet qui leur ressemblent pour leur côté déjanté, en constante évolution et s’amusant à brouiller la frontière entre les genres.

Vient le featuring sur BANKROLL qui nous rappelle qu’A$AP Ferg existe dans toute sa verve et qui, pour une fois, éclipse son collègue Rocky. Charlie Wilson, Baird et SoGone SoFlexy quant à eux, mêlent leurs voix avec celles du groupe au cœur de l’album et enchaînent les refrains entraînants sur trois autres productions soignées. Mention spéciale à WINDOWS qui joue avec les codes d’une époque révolue du rap des années 90 et les réactualise à sa sauce. 

L’album, outre ses chansons catchy, trouve un équilibre avec des chansons plus intimistes, écorchées par des riffs déchirants comme LIGHT et sa deuxième partie qui vient clore l’album. Joba y livre une performance intime suite au suicide de son père, une chanson dédiée aux éclopés de la vie. Bearface, autre membre du groupe, vient lui offrir un gospel a cappella sur DEAR LORD, en toute sobriété, avec le reste de BROCKHAMPTON, comme pour lui rappeler qu’il y a toujours une lumière au bout du tunnel. 

Leur style dénote, à contre-courant de ce qui s’est fait récemment dans le rap West Coast américain, et culmine sur cet album dans DON’T SHOOT UP THE PARTY. Matt Champion, reconnu comme meilleur parolier du groupe, y joue de sa gouaille et de sa voix éraillée pour livrer, de concert avec Kevin Abstract, un hymne enivrant au rythme hallucinatoire faisant penser à un BOOGIE bien plus calme, presque dompté.

 

 

Pour ne rien gâcher à l’affaire, les visuels du groupe sont tous plus léchés les uns que les autres, confiés en grande partie à Ashlan, membre du groupe dédié aux artworks, photos et vidéos. Acceptant occasionnellement les collaborations, il a fait appel à George Muncey, petit photographe anglais, pour s’amuser à animer des photos du groupe sur cet album. 

Dur de rester objectif face à un album tel que Roadrunner qui joue avec les sentiments et où la musique, les beats chiadés et la création perpétuelle sont une nécessité pour ces rappeurs à fleur de peau. L’album le plus abouti du groupe nous fait sentir à quel point la symbiose vécue au sein du collectif est salvatrice, mais aussi à quel point la création est un exutoire.  

 

Required viewings : 

– Pour comprendre pourquoi Hannah Montana est citée dans cet article et découvrir Nardwuar c’est ici.
– Pour que ceux qui ont vu Shrek III puissent rencontrer, sous les traits de Rick Rubin, la version humaine de Merlin dans cette interview croisée faite avec Kevin Abstract.