Un nouvel EP, une Boule Noire, et des ruptures à imaginer : rencontre avec Bolides

Dans le grand fourre-tout de la « nouvelle scène française», il est parfois facile de s’égarer : si les propositions n’ont certes jamais été aussi nombreuses et intéressantes, le volume croissant de sorties et une certaine tendance à l’uniformisation de la pop « urbaine » freinent parfois la lisibilité des projets. Comment garder le cap ?

Depuis maintenant 3 ans, il existe une solution – sportive, efficace et grisante. S’accrocher à l’arrière des Bolides et les suivre partout où ils nous emmènent. En une poignée d’EP’s et une bonne dose de collaborations bien senties (Elha, Oscar Emch, EDGE, James Baker et plus récemment Jäde), le duo toulousain naturalisé parisien défriche sans cesse les frontières nébuleuses entre pop, variété, r’n’b ou rap, avec toujours une obsession : raconter des histoires et écrire de vraies belles chansons.

A l’occasion de la sortie du très bon EP Ruptures Futures le 11 mars dernier, et de leur Boule Noire prévue le 5 avril, rencontre avec leur leader, Samson.

 

© Julie Mitchell

 

Ça y est, l’EP est sorti depuis le 11 mars, quelles sont tes premières impressions ?

 

C’est toujours bizarre, on a passé tellement de temps dessus, c’est assez ambivalent comme sentiment : c’est un peu une rupture de plus. On se détache du disque, on a passé du temps avec, on a écouté les sons des milliers de fois, et là il n’est plus à nous. C’est presque un soulagement.

Mais sinon on est très content, on a des supers retour sur l’EP dans sa globalité.

 

Tu dis l’EP dans sa globalité, est-ce que quand vous écrivez et composez, vous pensez déjà en termes de singles et de titres forts à mettre en avant, ou ça vient après ?

 

Ça vient après ! Ceci dit parfois, on bosse sur un titre, et on se dit assez vite qu’il y a un truc qui s’en dégage. A l’inverse parfois on bosse sur des morceaux, on adore mais on se rend vite compte que ça ne sera pas un single et qu’il faudra le présenter autrement.

Plus généralement, on a écrit énormément de morceau pendant le confinement, donc là c’est une toute petite sélection de ce qu’on a écrit, c’était très dur de choisir.

 

Et le premier extrait de l’EP que vous avez choisi de dévoiler était Dans le noir.

 

En fait on se l’est imposé, on s’est dit « ce titre c’est pas forcément un tube, mais il y a un truc qui nous touche complètement ». Elle est un peu plus axée chanson que les autres morceaux, et on voulait commencer par ça.

 

 

Prochaine étape, le 5 avril à la Boule Noire, une belle date à bosser ! Comment vous vous sentez ?

 

C’est un peu stressant. Quand le show sera fin prêt on sera détendu, là on doit encore répéter et choisir quelles chansons on joue ou non. On a fait le Pop Up du Label il y a quelques mois, c’était un avant-goût du concert qui va avoir lieu. On veut que ça soit différent quand même, l’EP est sorti, ça va changer pas mal de choses ! Ça va vraiment être top.

 

En termes de live d’ailleurs, ces derniers temps vous avez eu l’occasion de jouer ou de répéter ?

 

Non, on a surtout composé ! On a juste commencé à re-bosser un vrai live en septembre dernier. On avait une date au Connexion à Toulouse avec Ojos, c’était très cool. Finalement, il y a eu peu de répétitions, mais vu qu’on les a beaucoup travaillés en compo, on les connait quand même super bien. Maintenant, c’est plus la dimension spectacle qui reste à explorer : on veut faire de la mise en scène, on veut qu’il se passe des choses.

 

Vous êtes installés à Paris depuis 5 ans maintenant, comment tu perçois la différence par rapport à Toulouse dans le milieu de la musique, et comment ça vous impacte ?

 

A Toulouse, quand on était plus jeune, il y a eu de l’activité, une scène pop-rock émergente, mais assez vite cette scène est partie à Paris, parce que l’offre était pas suffisante. Quand tu as joué au Bikini, au Connexion, au Cri de la Mouette et au Saint des Seins 6 fois au bout d’un moment, ça tourne en rond…

Après, quand on a joué au Connexion il y a quelques mois, on a senti qu’il y avait un public curieux. Donc c’est pas un problème de public, c’est vraiment un problème de politique culturelle. Les jeunes qui s’intéressent à la musique il y en aura toujours, en plus Toulouse est une ville super dynamique. Ce sont les lieux qui manquent, les gens qui veulent prendre des risques, la mairie qui n’a pas une politique culturelle super excitante il faut le dire…

Quand tu arrives à Paris à 20 ans, entre le nombre de concerts, la variété des gens que tu rencontres, ça n’a rien à voir…

 

L’EP s’appelle Ruptures Futures, est-ce que c’est un peu une vision désabusée et fantasmée des choses, avec distance et humour, ou est-ce que c’est vraiment 100% premier degré et sérieux ?

 

L’idée derrière le projet, d’imaginer des ruptures futures, c’est un peu à contre-courant de ce qui se fait : je voulais écrire des chansons sur les ruptures elles-mêmes et pas sur le commencement, sur l’histoire… Oui il y a un peu d’humour, la démarche est un peu détendue on va dire, on se prend pas trop au sérieux, mais les chansons sont des vraies chansons de rupture, romantiques. Il y a juste un peu de distance… pas que des chansons tristes finalement !

 

La ligne directrice de l’EP est claire, l’ensemble très cohérent, comment tu arrives à ramasser en aussi peu de chansons tout ce que vous aviez écrit et composé depuis le temps ?

 

Ça a été un long processus. On s’est confiné ensemble avec Joseph en 2020, on avait beaucoup de temps, c’est comme si on était en résidence, ça nous été jamais vraiment arrivé comme ça. On était dans le home studio, et on avait une liberté totale, on avait aucune pression, on trouvait une idée et on allait au bout du truc. Moi j’avais vraiment ce thème de rupture qui revenait dans mes textes, et Joseph a épuré au maximum les productions, c’est la différence avec l’EP précédent Cœur Vagabond. Par exemple, Quartier d’affaires, le deuxième titre de l’EP, il y a 4 pistes, c’est tout. Avant, on pouvait avoir tendance à trop surcharger, puis on a progressé, maintenant on arrive à faire la plus belle chanson qu’on imaginait, avec presque rien. On a beaucoup écouté Billie Eilish aussi dans cette période-là, c’est fou, il y a 3 trucs et ça sonne incroyablement bien.

J’ai vraiment essayé d’écrire en piano-voix au départ, je trouve que si une chanson sonne bien en piano-voix, c’est que les éléments essentiels sont présents. Sur Dans le noir par exemple, c’est le cas, et Joseph est arrivé à rajouter juste quelques éléments dans la voix, dans l’instru, pour que ça soit un peu plus spécial.

 

© Julie Mitchell

 

Comment vous vous définissez exactement, dans cette nouvelle scène française hyper variée ?

 

J’aurais tendance à dire qu’on fait de la chanson en français, et d’en rester là ! Après, il y a des morceaux trap, pop, électro ou italo-disco, dans la prod, mais l’idée reste de faire des chansons. Quand on a créé le projet, il y a 3 ans, on était très influencé par cette scène qui a un pied dans le rap et un pied dans la chanson, donc il y a forcément des emprunts à tout ça, on a des morceaux avec de l’autotune assumée, et d’autres sans effet. Moi-même j’écris parfois avec des placements qui sont empruntés au rap, sans pour autant que ça soit vraiment du rap. Mais avant tout, on veut faire de la chanson !

 

En termes d’influences, dans la musique et en dehors, comment tu te situes personnellement, au niveau de l’écriture ?

 

C’est assez inconscient, je n’écris pas en essayant de faire comme d’autres artistes. Mais par exemple quand j’étais petit j’écoutais beaucoup Bashung, certes il n’écrivait pas tous ses textes tout seul mais il a ce truc de jouer un peu avec les mots, avec leur sens… J’ai aussi beaucoup écouté Barbara. En artistes actuels, je trouve que Moussa a vraiment un truc. J’aime l’écriture quand elle est assez brute, quand c’est simple, je suis moins touché par les fioritures et les mots complexes. Lui il fait super bien ça, c’est sa manière de parler, il ne parle pas « mieux » parce que c’est une chanson, et en même temps il écrit des trucs super beaux.

Après, au niveau de la littérature, je dirais Salinger. Son recueil de nouvelles est un peu mon livre de chevet, c’est ultra basique mais avec un imaginaire très fort ! Ce livre me donne beaucoup d’inspirations.

 

Toujours en parlant d’écriture, ton projet précédent (le groupe Ruby Cube, ndlr) était 100% anglophone, quand est-ce que tu as décidé de switcher en français ?

 

Depuis 4 ans à peu près. C’est beaucoup plus dur, mais je me sentais moins légitime en anglais. Ma mère est américaine mais ce n’est pas ma langue natale, je n’ai pas la même précision qu’un natif. Avec les Ruby Cube, les textes étaient moins importants, la langue plus légère. Le français, c’est plus pesant, ça peut être lourd. Les R, les P, les T…Mais j’avais très envie d’essayer ! Au début, c’était pas super, mais bon c’était l’exercice. On a sorti des morceaux sans se prendre la tête (24h, Haut-parleur), on testait si ce qu’on avait spontanément envie de faire pouvait plaire à des gens, et ça s’est très bien passé. Après, sur l’écriture, ça a été un travail de fond, et ça l’est toujours. Mais les gens te tombent souvent dessus… En anglais, j’ai écrit des conneries, et on m’a jamais fait la moindre remarque sur le fond. En français, dès la première chanson qu’on a sortie, il y a des gens qui m’ont dit que c’était très mal écrit. On est très dur avec le français, il n’y a pas de droit à l’erreur.

 

 

Comment tu vis d’ailleurs tous les commentaires qu’il peut y avoir dès que tu sors un truc ? Comment se détacher du regard des autres ?

 

Déjà je suis content, je trouve que Bolides est un projet qui a plutôt réuni ! Pour ce qui est du regard des autres, au début c’était pas vraiment clair, on essayait quelque chose et on se sentait pas vraiment légitime. Mais avec le temps, quand on a commencé à avoir des confirmations, on s’est rendu compte que le plus important c’est de comprendre pourquoi tu fais ça, d’y croire aussi, d’être touché surtout : moi c’est ce qui me pousse à continuer, et qui m’aide à choisir les morceaux qu’on sort. Aimer ce qu’on fait, pouvoir être touché, et le reste je m’en fous… La plupart du temps, quand il y a ça, c’est que le plus important est là.

 

Et pour finir justement, entre les confirmations que vous avez eues et le fait d’assumer à fond ce que vous faites, tu dirais que vous êtes sur le bon chemin ?

 

Ce qui est sûr, c’est que je n’irais pas dans un autre chemin. C’est le bon chemin pour se sentir vraiment bien. On s’en approche de plus en plus. J’écris des chansons dont je suis fier, pas juste au niveau des mélodies, mais aussi au niveau du fond et de la forme. Les défendre en live par exemple, je sais que ça va être un plaisir absolu, et en plus c’est des chansons que j’adore chanter et interpréter.

Le track Jamais vu, il raconte un peu ça justement : « jamais sûr du chemin que je prends ». On est jamais vraiment sûr, mais on a quand même réussi à développer des certitudes sur ce disque, et sur les prochains morceaux qui vont sortir aussi. Depuis le confinement, c’est vraiment comme ça, on a l’impression que plein de choses qui étaient floues sont devenues de plus en plus nettes. Et puis avec Joseph, on se connaît depuis qu’on a 4 ans, et c’est très agréable de pas prendre les décisions seul. On se fait confiance et on s’aide, quand l’autre est convaincu on ne se pose plus aucune question…

 

© Julie Mitchell

 

Pour découvrir tout cet univers en live le 5 avril à La Boule Noire, c’est par ici.