Le joyau Hannah Diamond : regarder le plafond en HD

Il y a des artistes pour lesquels on ressent la même chose à les faire découvrir à quelqu’un que ce qu’on pourrait ressentir en lui montrant son propre travail. On est un peu embarrassé, on a peur qu’il ne comprenne pas VRAIMENT ce qu’on a voulu faire, qu’il passe à côté de ce qui fait que c’est VRAIMENT génial, et on finit même par se demander pourquoi on en parle, tout ça pour entendre au mieux « OK, ouais, c’est cool, franchement on dirait le travail de quelqu’un dont c’est le métier, t’utilises quel logiciel ? » YOUR LOSS.

Tout ça pour dire que si, à la découverte d’Hannah Diamond, il vous suffit de quelques heures pour réaliser que la personne que vous avez été n’existe plus, et que c’est pour le mieux, alors, moins déçu que triste, nous nous enfoncerons d’un pas de plus dans la forêt mystérieuse de nos incompréhensions mutuelles.

 

© Hannah Diamond

 

Hannah Diamond est une des figures de proue de PC Music, le label peu ou prou à l’origine du mouvement musical de l’hyper-prou, pardon hyper-pop, à l’époque ou il n’y avait pas de nom pour ce genre (et c’était mieux mais bon on a déjà fait plusieurs fois du mauvais esprit là-dessus, ça suffit), et autour duquel gravitent ou ont gravité des artistes emblématiques de la pop moderne tels que SOPHIE (rip </3), Charli XCX, 100 Gecs, A. G. Cook, Danny L Harle, GFOTY ou encore le rappeur estonien Tommy Cash.

Artiste visuelle avant d’être musicienne, son univers plastique, artificiel, est très inspiré par le monde de la publicité, de la mode ainsi que par le travail de Mert and Marcus, David LaChapelle, et Nick Knight (si ça vous intéresse). Elle a notamment pris en photo Charli XCX pour les besoins d’une campagne de pub, ce qui a donné un amusant quiproquo lorsqu’on a vu paraître un beau matin sur le web « Hannah Diamond shot Charli XCX ! » (et oui car shot en anglais ça peut vouloir dire « photographié » ou « tiré dessus » si vous ne le saviez pas). Double sens cocasse (et sans doute volontaire) d’autant plus qu’Hannah aurait pu avoir des raisons d’en vouloir à Charli puisque leur producteur commun, le génial AG Cook, était à ce moment en train de progressivement délaisser la première (ainsi que tout le label) pour la seconde. Dommage d’un point de vue artistique selon l’avis de certains, pas dommage d’un point de vue financier selon l’avis de tout le monde.

 

© William E. Wright

 

Disons le, Hannah Diamond a tout ce qu’il faut pour devenir une grande pop star : un univers visuel très travaillé, une personnalité charismatique, énormément de talent. Lors de l’éclosion de PC Music et des premières compiles du label, c’est probablement ses morceaux qui ont attiré le plus la lumière sur le collectif, et c’était réellement pour beaucoup l’artiste phare du projet (si on exclut AG Cook et Danny L Harle qui de fait, en étaient les piliers avec si ce n’est moins de visibilité).

C’est en plus de cela une personne objectivement adorable (c’est sûr, ça se voit). Malgré tout ça et pour des raisons qui doivent exister, Hannah Diamond est restée de ces artistes confidentielles qu’on qualifie parfois d’ « underground », tandis qu’AG Cook prenait de plus en plus de place dans le paysage musical, et leur collaboration a visiblement eu du mal à survivre à cette différence de notoriété. Son premier album  « Reflections » (un must have absolu) a mis des années à sortir, a priori en partie à cause de l’indisponibilité du producteur, et c’est aujourd’hui avec un nouveau producteur David Gamson qu’on retrouve HD, 2 ans après.

 

 

Le titre s’appelle Staring at the Ceiling, et on peut déjà dire que le job est fait, avec un morceau cohérent et beaucoup d’idées qui marchent. Les modulations et les effets de voix sont réussis et créent cette ambiance retro-futuriste un peu bizarre mais touchante cultivée par la chanteuse, comme si ces étranglements de voix dûs à l’émotion dévoilaient la vraie nature androïde de la chanteuse (ce qui est a priori faux, c’est bel et bien un être humain). On retrouve avec grand plaisir l’univers room-pop d’Hannah Diamond et ses textes adolescents qui nous rassurent en nous disant que oui, c’est ok à n’importe quel moment de sa vie d’être allongé sur son lit en souhaitant qu’il y ait quelqu’un avec nous dans la chambre (sous-entendu une personne qu’on aime, pas l’employé GrDF de mercredi dernier). Le passage instrumental post refrain installe une tension mi-épique mi-bizarre bien dans le thème, et soulage un refrain mélodiquement peut être un tout petit peu faible, mais rattrapé par les idées de production. La transition de producteur passe d’ailleurs plutôt inaperçue (bon ce n’était pas non plus le grand écart à la base) et tant mieux, on retrouve cet équilibre particulier entre l’ultra-léché, le quasi-kitsch et la bavure franche, probablement parce qu’Hannah Diamond met elle même les mains sur les potards pour ses projets. On a donc un nouveau morceau très cohérent avec le reste de la discographie et qui donne envie de tout réécouter sur le champ.

 

 

Evidemment on regrette un peu l’époque où ces rythmes abrupts et ces productions vides provoquaient chez nous un enthousiasme aveugle et immédiat, maintenant que ça a été fait et refait – souvent pas très bien – par beaucoup d’autres, mais malgré tout, Hannah Diamond arrive à garder une nette longueur d’avance sur les nouveaux venus de la scène hyper-pop. Si le titre ne déploie pas les bangers fulgurants des plus gros tubes de la chanteuse, ni l’audace mélodique de ses tout premiers morceaux, il annonce selon HD elle même une certaine confiance en elle et dans ses sujets de prédilections, ce qui nous rend très contents, n’ayons pas peur des mots.

On espère quand même que cela ne signe pas la fin des flows bizarres et des mélodies sur-aiguës dont le morceau nous prive un peu. Mais quand on sait ce dont HD est capable, tous les espoirs sont permis pour ce deuxième album, dont l’annonce est certainement une des meilleures nouvelles de 2022.