Rebecca Black, Friday Remix : 10 ans après

C’est une belle histoire parce qu’elle est intriquée à toute l’évolution de la société et d’internet ces dernières années, et aussi c’est vrai, parce qu’elle se termine bien (pour le moment en tout cas).

 

Rebecca Black, Friday Remix : 10 ans après

 

Il y a dix ans Rebecca Black en avait 13. Passionnée de théâtre et de chant, elle se faisait offrir par sa maman un clip et une chanson « clé en main », relativement low cost (4000e) par une boite de prod spécialisée dans ce genre de produits. Après un mois sur YouTube le clip de Friday est devenu viral du jour au lendemain, déchainant alors les critiques et les internautes qui lui décernèrent le titre de « pire chanson du monde ». La faute à une ambiance assez cringe tout le long du clip, des ados mignons mais très mal à l’aise, des paroles simples (même si on a vu pire) au second degré pas assez évident… et surtout à un besoin maladif de désigner des boucs émissaires pour se sentir exister. S’en est suivi une vague de harcèlement numérique et scolaire envers la jeune chanteuse, allant jusqu’à des menaces de mort par courrier et par téléphone.

 

 

Aujourd’hui certains redécouvrent Rebecca Black, depuis devenue chanteuse pop – avec un certain succès auprès du grand public et surtout une fanbase ultrasolide (allez voir sous ses posts instagram si vous en doutez) – mais aussi YouTubeuse, et très engagée pour les causes LGBT. Il y a ceux qui tweetent leurs regrets d’avoir participé à sa mise au pilori, ils disent qu’ils étaient jeunes et donc forcément cruels, car quand on est jeune on est cruel, c’est bien connu, et on ne peut rien y faire (une excuse c’est quand même mieux quand on ne cherche pas à se justifier). Mais bon “quit the cynism” comme on dit chez les non-européens, ce sont des messages touchant en fait, et probablement sincères. Ceux-là avaient le même âge qu’elle à l’époque. Et quand on est enfant, on a pas beaucoup d’esprit critique, et on suit les tendances parce qu’on a surtout pas envie d’être différent (merci la société).

Quant aux journalistes musicaux (ou non) de l’époque, ils devaient également avoir 13 ans sans doute, puisque rien qu’en France, Libération, les Inrocks, Closer, Madmoizelle pour ne citer que les premiers résultats Google, viennent copieusement se moquer, assez peu de la qualité de la musique et du clip finalement, mais bien principalement du PHYSIQUE des adolescent.e.s sur la vidéo, de leurs boutons, de leurs appareils dentaires dans un bon gros mélange bien dégueulasse d’ignorance musicale (pour commencer par le moins grave), de condescendance paternaliste, de sexisme, et de complaisance patriarcale. Rien de mieux à écrire à l’époque sans doute que de participer au lynchage public d’une poignée d’adolescents, les traitants de « gosses de riches », alors que pas vraiment en fait (mais attends on va pas TOUT vérifier non plus quoi) et puis ça va on s’en fout, elle l’a cherché, elle avait qu’à pas mettre une vidéo d’elle sur internet non ? Enfin… Quand on est journaliste, on a pas beaucoup d’esprit critique, et on suit les tendances parce qu’on a surtout pas envie d’être différent… heu oups ? (Ca aurait été mieux de dire ça il y a dix ans plutôt que de donner des leçons maintenant que tout le monde est d’accord ? Vous trouvez ça un peu ironique quand même ? Vous êtes les plus malins).

Toute cette histoire pour montrer gratuitement du doigt certes mais aussi pour situer le contexte du morceau dont on va parler aujourd’hui, et si vous voulez en savoir encore plus vous pouvez regarder cette interview intéressante.

 

 

Aujourd’hui Rebecca Black ressort son single qui l’a rendu célèbre, remixé par un des producteurs les plus pointus, visionnaire et talentueux de la pop-musique actuelle, à savoir Dylan Brady (100 gecs notamment), entourée de Dorian Electra (ce n’est pas la première fois) Big Freedia et Sean Foreman du groupe de votre enfance (peut être, en tout cas pas la mienne) 3Oh!3 – qui ont fait leur retour musical récemment dans un style aux alentours de l’hyperpop (Merci la France personne ne viendra taper la controverse puisqu’avec 10 ans de retard sur tout on en est encore à « C bizar la musik c normal lé son égu qui fon mal oz oreil ? ») et qui d’ailleurs ont également collaboré avec 100 gecs sur ce morceau intéressant. Trois featuring qui viennent signer des interventions plus qu’anecdotiques, assez mémorables même, sur ce morceau emblématique (qu’on le veuille ou non), et remplacer avantageusement celui d’origine dont personne ne se rappelle d’ailleurs vraiment (le featuring, pas le morceau).

On peut le dire : il est bien maintenant le morceau, très bien même. La nouvelle production vient mettre en lumière les bonnes idées musicales et catchy, déjà présentes dans l’original – si si, qui prennent désormais une nouvelle dimension, plus fun (fun fun), plus absolue, plus déjantée, et développe dans le reste de la chanson cette ambiance bizarre et métallique qui accentue le côté forcé de la naïveté du texte et le transforme en message du futur (vendredi prochain pour être précis) à la futilité prophétique. Les bangers d’origine sont paradoxalement à la fois décuplés et plus subtils et ils sont désormais présents un peu partout, pour le plaisir de tout le monde. Et puis surtout comme on la connait déjà par coeur, on chante les paroles ça fait plaisir, et en plus maintenant – pour paraphraser les commentaires YouTube – on peut le faire « unironically ».

Comme on le disait au début de l’article (qui s’en souvient, c’était il y a si longtemps) Rebecca Black s’était déjà largement ré-appropriée son image et sa carrière musicale bien avant ce remix, et a sorti des très bons morceaux (comme Girlfriend). Le remix de Friday est une belle preuve de courage et de résilience (capacité à surmonter un choc traumatique, c’était dans un autre article – c’est ça le journalisme en 2021), et aussi sans doute une très bonne opération commerciale, et on ne serait pas surpris – ni triste d’ailleurs – que Rebecca Black fasse partie des grandes stars de la prochaine décennie.