Ibeyi, la communion des contrastes

Il y a un peu moins d’un an sortait le premier album d’Ibeyi, au titre éponyme.

 

Ibeyi, la communion des contrastes
© Sophie Wright

 

L’histoire d’Ibeyi commence en 2009 lorsque Lisa-Kaindé, pour tuer le temps, se lance dans l’écriture d’une chanson. Elle jouait alors déjà du piano.
Elle est suivie par sa sœur jumelle, Naomi, qui s’était mise à étudier depuis quelques années les percussions, dans la lignée de son père, Anga Diaz, célèbre percussionniste cubain.
Les différences entre les jumelles sont nombreuses, et passent par différents niveaux : traits physiques (Lisa semble prend les traits de son père quand le visage de Naomi rappelle leurs origines vénézuéliennes), personnalités (Lisa est ‘cérébrale’ et Naomi ‘instinctive’), influences musicales (Lisa écoute du jazz  et Naomi du hip hop), style de vie …
Dans la culture Yoruba, qui exerce chez elles une influence importante, Lisa est perçue comme la mer, et Naomi comme la foudre. Autant de différences qui se retrouvent dans leur musique ; une passionqui aurait permis de les rapprocher.

C’est ce qu’il a de beau dans cette musique. Elle reflète à bien des égards ce que représente le duo : un mélange.
Un mélange tant par leurs différences, que leurs influences musicales et leurs origines.
Dans cette musique, ce mélange transparait dans les rythmes, les langues et les différences vocales.
Au final, tout y paraît harmonieux.

 

Ibeyi, la communion des contrastes
© Sam Nixon

 

Leurs morceaux se composent d’accords de piano et de percussions, généralement des instruments traditionnels cubains, tel que le cajon. Nous pouvons également entendre des éléments plus électroniques dans la mise en scène avec notamment l’utilisation de boîtes à rythmes.
Lisa, accompagnée de Naomi, chante en anglais, en français, mais aussi en yoruba. Cette langue, elles avaient souhaité l’intégrer dès le départ dans leurs chansons.
Pour être exact, il ne s’agit pas d’intégration. Elles précisent souvent que cela leur est venu naturellement, car ces chants ont bercés leur enfance et font partie d’elles.

La langue Yoruba est à la fois culture et religion, et ses chants sont des invocations, des prières. C’est cette facette qui transparait dans les morceaux d’Ibeyi : dans Eleggua ou Ibeyi, qui forment l’intro et l’outro de l’album.
C’est une culture qui avait été importée par des esclaves béninois et nigériens à Cuba, où elle se développa à travers les générations. Si aujourd’hui elle n’est plus aussi forte qu’auparavant, elle persiste.  Les jumelles y ont été initiées par leur maman, qui l’avait découverte là-bas.
Et si cette langue s’intègre aussi bien à leur musique, c’est justement parce qu’elle est spirituelle et accorde une grande importance aux traditions et aux ancêtres.
La langue yoruba se rattache parfaitement à l’univers des Diaz ; une musique qui parle de leurs origines, qui s’enracinent dans les liens familiaux, souvent très forts.
Les morceaux, écrits par Lisa, racontent leur histoire, parle de vie et de mort. Ils sont à la fois spirituels et hantés, poignants, et aux paroles graves : ‘My ghosts are not gone, they dance in the shade’ (Ghosts). ‘This is your spirit and we think of you’ (Think of you).

Au premier abord, les textes dévoilent des âmes déchirées et fragiles ; nous pouvons penser à Mama Says, Yanira ou encore Weatherman.
Pourtant, si on s’y attarde un peu plus, les morceaux se dévoilent, remplis d’amour, d’espérance et de foi. C’est d’ailleurs toujours cet amour qui surmonte le reste. Comme dans Behind The Curtain, qui commence en douceur avec seulement des accords de piano, et aux allures de supplication : ‘Where are you now, my man, my father ? Far from my life for good’. Mais le morceau finit par dépasser cette plainte pour devenir espérance. Il finit très rythmé, entre la puissance des percussions et les paroles répétées, s’apparentant à un combat : le combat d’un souvenir heureux, que l’on veut se rappeler.
Au final, la musique d’Ibeyi est une musique sur les constats : le regret de ce qui nous a été enlevé, mais les souvenirs que l’on en garde et qui nous rendent heureux.

 

Ibeyi, la communion des contrastes
© Maxime Chanet – Lisa

 

Elles affirment elles-mêmes que cette musique, contrairement à ce qui peut-être pensé, les rend heureuses. Ce qui se ressent beaucoup sur scène, où les sœurs sont possédées par les rythmes de leurs morceaux.
Cette musique, c’est aussi une invitation qu’elles nous font, une invitation à les rejoindre.
Et si les chansons nous touchent, c’est parce qu’ils sont terriblement entrainants ; les accords nous rentrent en tête, les rythmes nous font danser, sans qu’on puisse s’en défaire. Et nous aussi on se met à chanter à tue-tête. Même les chants yorubas, sans y comprendre un mot.

 

Ibeyi, la communion des contrastes
© Maxime Chanet – Naomi

 

Leur musique, elles l’avaient souhaité dès le départ : « minimaliste, intimiste, organique ». Précisant aussi qu’elles voulaient des « sons électroniques et des beats hip hop ».
C’est aussi de là que peut venir cet entrain. Ce qu’il y a d’original et de différent chez Ibeyi, est qu’elles ont voulu intégrer leurs influences contemporaines à leurs chansons. Cela fait suite à certaines révélations musicales, tel que James Blake, qu’elles citent souvent.
Nous le ressentons dans les rythmiques souvent électroniques des morceaux, et la manière dont Lisa utilise sa voix, renforçant cette impression post-moderne.
Ibeyi a d’ailleurs fait une reprise de Better In Tune With The Infinite, morceau d’un rappeur qu’elles apprécient, Jay Electronica. La reprise est intéressante car singulière, et toujours dans leur univers.
Cet univers qu’elles partagent, personnel en tous points, leur ressemble, regardant à la fois vers le passé et l’avenir.

 

Ibeyi, la communion des contrastes
© Ioulex

 

Je n’ai pas pu résister à ajouter cette session réalisée en avril dernier chez KEXP. Cliquez ici pour l’écouter.
Ainsi que des playlists des artistes que vous pouvez trouver sur Spotify, où se mêlent leurs influences. Ecoutez les ici en cliquant sur ces deux liens : Playlist de Lisa / Playlist de Naomi.