Carte Contact : Interview

Carte Contact naît de la rencontre entre la musicienne Julie Roué et la réalisatrice Angèle Chiodo. En 2017 elles composent Like a Dog pour la BO du film ‘Jeune Femme’ de Leonor Serraille. Un morceau aux sonorités electroclash, détonnant par sa veine garage, ses lyrics trash et sa voix ultra naturelle.

Carte Contact s’enferme alors et bricole des morceaux, inlassablement retravaillés. De ces expérimentations sort un premier EP ‘HA HA‘. Sur des beats et mélodies catchy, le désir croise la violence et le groupe fonce là où ne l’attend pas.
Dans la lignée, le duo dévoile en février ‘L’élite de la nation‘ et s’aventure vers des sujets plus épineux.
Sorte de catharsis, il appuie là où ça fait mal et invite au lâcher prise.

 

Carte Contact. De gauche à droite : Angèle, Julie. © Carte Contact

 

Vous avez commencé avec la BO que Julie a composé pour ‘Jeune Femme’. Julie, pourquoi as-tu pensé à Angèle pour t’accompagner sur le morceau Like a Dog  ?

Julie : Je devais composer un morceau à l’image du personnage de Lætitia Dosch dans le film. Une personnalité borderline, quelque chose dans ce genre. Et je me méfiais de mon côté première de la classe, à vouloir toujours faire des chansons bien propres, bien carrées, rien qui dépasse. Je me disais que cette énergie punk j’allais la trouver chez Angèle. J’ai composé la musique des derniers courts métrages d’Angèle. Je connaissais sa puissance de feu, et son imagination foisonnante. Sa capacité à me déstabiliser. Je l’avais déjà entendu chanter, donc je savais qu’il y aurait du borderline dans sa voix et ses textes. Je n’ai pas été déçue.

Angèle : ET VOILÀ moi qui pensais que Julie m’avait proposé ce partenariat pour mon chant toujours juste allié à un grand professionnalisme.

 

Après ce morceau, c’était évident pour vous de monter le projet de Carte Contact et aller plus loin  ensemble ?

Julie : Pas du tout. La suite, c’est qu’Angèle a réalisé son court métrage ‘Peste Dansante’, dont j’ai aussi fait la musique. Je lui ai proposé qu’on reforme Carte Contact pour le générique de fin. Ça a donné Tout ce qui compte (c’est l’amour), qu’on continue d’ailleurs d’écrire, en vue d’un prochain EP. Bref, on a fait un titre, puis deux, et moi j’avais envie que ça continue. J’ai proposé qu’on écrive une comédie musicale inspirée de nos vies (je me souviens que j’avais écrit un début de chanson qui faisait « l’amour ça fait des trous dans la moquette »). Angèle a trouvé cette idée pourrie, on n’a jamais fait de comédie musicale.

Angèle : J’adorais « des trous dans la moquette » ! Mais les comédies musicales c’est compliqué oui…

Julie : Donc nous nous sommes retrouvées enfermées dans une maison avec des copains et nous avons écrit des nouveaux titres.

 

Dès le début il y a une esthétique qui s’est créée, qui vous est propre. Comment avez-vous construit l’univers de Carte Contact  ?

Julie : On n’y a pas trop réfléchi, on s’est lancé et ça a donné ça. D’ailleurs, tous les six mois, j’ai l’impression qu’on réinvente les choses. C’est une superposition de nos goûts et de nos envies, au départ assez différentes. Dans l’instru, il y a mon obsession pour les mélodies qui restent scotchées dans la tête, et l’envie de faire danser, sur des tempos un peu downbeat. Les synthés 80s, ou EDM. Là-dessus, on rajoute les paroles d’Angèle, et ses idées bruitistes.

 

Quand on vous écoute, on sent beaucoup de liberté et de recherche au niveau de la création. Comment composez-vous  ?

Julie : En général, on démarre avec un instrumental que je fais toute seule. Il y a souvent une mélodie et des paroles, qu’Angèle n’entend jamais mais qui m’aident à fabriquer cette trame. Il y a une structure bien pop (couplet-refrain-couplet-refrain-pont etc), dans laquelle Angèle commence par mettre un grand coup de pied.

Angèle : Tu veux dire, « une structure qu’Angèle précise sur Garage Band ».

Julie : Voilà, et ensuite on recolle les morceaux.

 

 

Angèle, tu écris les morceaux de Carte Contact. Tes textes sont souvent très imagés et si dans certains morceaux tu parles à la première personne, tu utilises aussi le pronom «  elle  ». Est-ce une façon de mettre de la distance ?

Angèle : Oui, c’est compliqué de parler de soi directement. Mais c’est aussi pour pousser une émotion, comme quand j’écris un personnage de film – ou comme quand on joue un rôle, tu vas chercher une part de ta personnalité, et tu la fais gonfler – ça peut être un personnage odieux, et alors (vu que ce n’est pas toi) tu ne te fais pas de cadeau, et ça devient drôle. Les personnages sympathiques ne sont pas ceux que je préfère dans les films…

En général j’ai une sensation très forte que j’ai envie de partager, j’écris, et ensuite le lendemain la sensation est partie (parce qu’on change tout le temps) et donc tu fais un personnage avec. Et c’est une partie de toi, mais extériorisée.

 

Il y a du second degré dans vos textes, mais vos sujets de fond sont souvent assez trash. Est-ce aussi une façon de se détacher du sérieux de vos propos  ?

Julie : Qu’il y ait matière à réfléchir à partir de nos textes, surtout quand de prime abord on a un refrain idiot qui reste en tête, ça fait vraiment partie des grandes ambitions de Carte Contact.

Angèle : Disons qu’avec cette impression que je change tout le temps, et que je déteste qu’on me dise ce que je dois faire, c’est très rare que j’estime avoir raison et que j’ai envie de l’expliquer aux gens. Donc il y a soit des chansons très spontanées et personnelles, par exemple Mélancolie des animaux qui était un geste rapide et je sais que je ne me suis pas trompée, au sens où je peux la chanter tout le temps sans me mentir.

Et puis pour d’autres, ça prend plus de temps, comme Tout ce qui compte : maintenant je sais que ça parle d’impérialisme, et c’est plus politisé, il y a du jugement dedans. Donc j’avais envie que ça décante un peu, pour pouvoir assumer ce que je dis. Même si au final ça ne se prend pas très au sérieux. Par exemple j’explique que « Pocahontas elle était trop fraiche » – c’était une blague, je fais de l’animation à la base et j’ai toujours trouvé ce dessin animé particulièrement crade. C’était de l’intuition mais maintenant que je connais la vraie histoire de Pocahontas, je peux la justifier. J’ai aussi lu plus de trucs sur l’hypersexualisation des femmes indigènes.

 

Votre premier EP avait un côté très cash / trash. Le deuxième est plus cinglant ; il y est question de vieillesse, de politique, de mal-être… Quelle était votre envie  sur ce nouvel opus ?

Julie : Je crois que ça suit nos trajectoires personnelles. Il y a 2 ans on avait envie de parler de sexe, de désir. Cette année, on a été pas mal révolté par tout ce qui nous entoure. Le sexisme, le mépris de classe, l’escroquerie politique, tout ça nous a bien mises en colère. Ma conscience politique est encore toute jeune, et je lis un Paul B. Preciado comme un enfant de 8 ans qui découvre Jules Verne, mais je ne compte pas m’arrêter là.

Angèle : J’étais déjà très énervée il y a 2 ans. Et je trouve ça toujours important le désir (dit-elle en envisageant avec angoisse la période de distanciation sociale qui s’annonçait bien longue).
Quand on a commencé c’était plus simple de parler de choses personnelles, parce qu’au début j’avais l’impression d’apprendre une nouvelle langue en écrivant des paroles. C’est sans filtre, tellement plus direct que le cinéma. Donc, je faisais des listes. Ensuite comme j’ai vu que je pouvais «  faire des phrases  » j’ai pu parler de thèmes plus vastes, de type «  la société  ».

 

 

Votre dernier morceau en date est Ça me donne envie de (leur monde est mort), sorti de façon assez spontanée, presque dans l’urgence. Vous pouvez nous en dire plus  ?

Julie : Après la cérémonie des César et le scandale Polanski, on était bien remonté. Angèle m’a dit qu’elle voulait écrire un texte là-dessus. J’ai fait une instru qui portait cette énergie de frustration et de colère, et Angèle a écrit dessus. Franchement, si vous aviez entendu la première version… ce qui reste c’est une version édulcorée.

Angèle : Ça m’a fait du bien. J’avais tellement de rage. Des mains au cul par des vieux dégueus je ne m’en suis pris que quand je ne pouvais pas me défendre, j’étais petite, je pensais m’être trompée, ou que peut-être c’était ma faute. C’est injuste et c’est tellement long de déconstruire, les changements dans la société se font si lentement, j’ai trouvé ça ultra violent.

Le seul truc qui me consolait ce soir là c’était le discours d’Aïssa Maïga. Et puis ensuite j’ai découvert qu’en 2000, Calixthe Beyala et Luc de Saint-Eloy avaient déjà dénoncé à la même cérémonie de César le manque de diversité. Et donc vingt ans plus tard, Aïssa Maïga compte les quelques personnes racisées dans la salle et ils font semblant de ne pas comprendre ? C’est dingue en fait. Et ça a des conséquences graves, tout le temps. J’aimerais tellement que leur monde soit mort.

 

Le 28 Mai vous sortez un EP de reprises de morceaux de Rihanna avec Golden Q. Il me semble que ce duo a commencé pour l’un de tes films Angèle ?

Angèle : C’est avec Golden Q que j’ai commencé à chanter ! On avait fait un groupe avec des ami.e.s, Quick & Fluck, des reprises de tubes américains en version française et des clips pour rigoler… C’est assez sentimental. On avait déjà fait Diamants. Et les paroles Google Translate que Julie a traduit, «  We found love in a hopeless place  », m’ont semblé tellement magnifiques, surtout en ce moment.

Julie : Oui, à la base, juste en mode démo, j’ai traduit les paroles de We Found Love avec Google Translate et Angèle a trouvé ça cool alors on n’a rien touché. A part que mon « Diamants jaunes » de la maquette est devenu « Se dire bonjour » parce que c’est ce qu’Angèle avait entendu, et, encore une fois, on l’a gardé.

 

Quels sont vos autres projets à venir  ?

Angèle : Là je finis un petit clip, pour D’accord. On a aussi des projets de collaboration, on aime bien bosser avec d’autres gens ça fait découvrir de nouveaux univers.

Julie : On a aussi un projet d’EP pour la fin de l’année, avec plein de chansons d’amour. Des trucs qu’on joue depuis longtemps mais qu’on n’a jamais fini. Il y a J’adore, Tout ce qui compte (c’est l’amour), Ça reste entre nous… J’en oublie  ?
Et puis surtout, notre projet, c’est de refaire des concerts dès que possible.

 

Vous écoutez quoi en ce moment  ?

Julie : Je me sens toujours conne quand on me pose cette question parce que j’écoute très peu de musique. Mais mes derniers coups de cœur c’est Charlotte Adigéry et Irène Drésel.

Angèle : Colette Magny, Hot sugar et Easter.

 

L’EP “Des milliers de diamants” avec Golen Q sortira le 28 Mai sur 1 EP par jour records.