Arielle Tombale, chanson rétro du futur

Tout digger de musique dévoué connaît ce sentiment à la découverte d’une perle rare, un album qui vous transporte et que personne ne connaît, dont il va pouvoir révéler l’existence à tous ses amis, qui lui diront à la prochaine soirée avec des étoiles dans les yeux : hey, j’ai poncé l’album que t’as partagé, c’est tip top ça ! (vos amis aussi parlent comme ça ?)

 

Arielle Tombale, chanson rétro du futur

 

C’est d’un album comme ça dont on va parler aujourd’hui. LOIN-PRES, d’Arielle Tombale, dont le pseudo à la fois drôle, beau et triste laisse déjà pressentir une certaine forme de génie, est une de ces œuvres qui nous fait désespérer sur le monde. Hein, quoi ? Je m’explique. À penser à la soupe prédominante qu’on nous sert toute la semaine entre les radios ou les magazines spécialisés (mais spécialisé dans quoi je vous le demande?), des chansons sans âme, des mélodies sans intérêts, des albums chiants comme un couvre feu à 19h, on se demande pourquoi ? Pourquoi de tels talents sont-ils encore dans l’ombre ? Où sont-ils les patrons de labels, les journalistes influents, sinon à se jeter sur de tels chefs d’œuvres ? Où sont-ils, les programmateurs courageux, les directeurs de publication intègres ? Le monde de la musique est il désespérément consanguin ? Ce sont toutes ces questions existentielles que je me pose à l’écoute de ce genre d’album. Qui exagère ?

Cette tribune article est là pour parler de cet album donc, LOIN-PRES, compilation de morceaux composés lors du premier confinement en 2020, pour une compétition musicale à thèmes en ligne nommée Le marathon de la semaine. Vous croyiez savoir ce qu’est une mélodie efficace, ce qu’est un texte bien écrit, ce qu’est la poésie ? Vous croyiez savoir ce qu’est le punk et la pop ? Et bien vous vous trompiez, nous nous trompions, une partie du paysage nous avait échappé – et quel plaisir dans la prise de conscience de cette ignorance. Cette voix autotunée brute, directe, un peu désabusée mais malgré tout remplie à ras bord d’émotion, ces guitares mal accordées, cette batterie électronique façon preset de clavier Yamaha sur-mixée à la binarité libératrice, ces synthés façonnés à même le vent. Et surtout quel génie de composition, d’arrangement et de mélodie ! Le genre d’album à vous donner la confiance que vous aussi vous pourriez faire des miracles avec du fil et du scotch, qui avec trois fois rien fait naître la magie de la musique, qui nous rappelle, l’avait-on oublié, qu’il ne faut pas forcément un set home studio à 13500 euros pour faire des suites d’accords qui percent le cœur, pour écrire des refrains venus d’ailleurs.

 

 

Tout le monde est un gangster jusqu’à l’écoute de Des choses constructives ou Le banc de gravier le plus septentrional, deux morceaux d’une poésie et d’une beauté à faire ressentir de l’empathie pour l’espèce humaine même au plus macroniste de vos collègues. Si quelques morceaux comme Plus besoin de faire semblant sont plus « pour rigoler », et encore, ils n’en restent pas moins tous d’une créativité soufflante en termes de structure et de musicalité et transpirent d’une sensibilité musicale que l’artiste semble ne pas pouvoir dissimuler. Et aux plus sceptiques d’entre vous qui lâcheront laconiquement « ouais ça pompe la chanson française des années 60-70 quoi » je ne prendrai même pas la peine de chercher à comprendre votre cynisme, car non ça n’a rien à voir. Ce n’est pas parce qu’un tabouret a été fait avec le même bois qu’un porte-manteau que ce sont les mêmes objets. Cette combinaison là, de textes (et quels textes, si vous écoutez la musique sans faire attention aux paroles, autant aller à Etretat sans passer voir les falaises), de mélodies et d’accords, si elle était là avant, on nous l’aurait dit. Une concession pour être prince, oui, peut-être que la ressemblance avec des choses qu’on a aimé participe à l’impact global, mais n’est-ce pas là l’essence de l’art, savoir pincer les cordes qui existent déjà pour nous faire nous faire vibrer à des endroits insoupçonnés ? 

 

Arielle Tombale, chanson rétro du futur

 

La musique d’Arielle Tombale, excitante, enthousiasmante, est le manifeste que la chose la plus importante dans la musique… reste un mystère (vous vous attendiez à quoi?) et est donc paradoxalement à la portée de tout le monde. Nul besoin de grosses prod ou de kick qui font sauter les poumons dans les cages thoraciques – même si on adore, attention – pour faire des tubes, nul besoin d’une config de studio à X euros pour exprimer son talent. Mais dans la multitude de projets musicaux qui émergent en ce moment, plus facile pour les sélectionneurs de musique que sont les maisons de disques ou les magazines, de se raccrocher à une esthétique bien connue et bien léchée, ou à des artistes qui ont déjà su faire parler d’eux, quitte à sacrifier un peu (beaucoup) le critère du talent artistique. Et si ces gens là ne veulent pas être connus, rétorquerez-vous ? Puisqu’ils ne font pas d’efforts dans ce sens ? Oui et alors ? Comme le prouvent chaque jour nos gens de pouvoir, se battre pour quelque chose ne veut pas dire qu’on en est digne, et même dans certains cas certains diront que c’est le contraire. Si le sage ne veut pas la lumière, il est pourtant dans l’intérêt général de la lui donner.

Grands discours creux et digressions mis à part, reconnaissons que dans la jungle actuelle il est aussi difficile pour un.e artiste qui ne joue pas avec les codes et qui n’aime pas ou n’a pas d’aisance particulière pour faire sa promo de se faire connaître que pour l’amat.eu.r.ice de musique de le.a découvrir. Alors avec un nom éclipsé par les moteurs de recherche, une esthétique de dessous les radars (cf. la pochette de l’album, brillante) et un référencement quasi-inexistant renforcé par une absolue absence sur les réseaux sociaux, sans aiguillage particulier, seule une chance incroyable peut vous amener à découvrir une artiste comme Arielle Tombale, un label comme Prix Libre Record (qui vaut le détour, on en reparlera peut être, qui sait) ou encore le site de RadioRien. Autant de ces nombreuses entités plus ou moins obscures aux designs fascinants qui éclosent ça et là sur le web et qui démontrent l’envie de beaucoup de construire autre chose. J’espère donc avec cet article interminable et majoritairement hors-sujet apporter une pierre à l’édifice d’un monde meilleur. Continuer à chercher. Le faire pour soi, pour la musique. C’est un peu dur, mais ça vaut le coup.