Bracco : Interview

La semaine dernière nous sommes parties à la rencontre de Bracco, ce duo parisien résident de La Station qu’on ne situe pas mais qui allie avec brio punk, post punk, garage, rock moderne et électronique. 

Baptiste et Loren, ce sont deux férus de musique qui, au détour d’une rencontre, ont créé Bracco, un mélange d’émotion, d’énergie et de tension. De cette rencontre est né POV, un EP électrique puis Grave, leur premier album, sorti en 2019 chez Le Turc Mécanique. Un condensé de huit titres électriques qui font du bruit et feront danser les plus timides !

Nous avons parlé musique, création artistique, du second album qui arrive (mais pas trop vite) et période oblige, d’actualité. 

 

 

Vous pouvez me raconter l’histoire de Bracco ? 

Baptiste : On s’est rencontrés dans un bar où l’on travaillait tous les deux. Le nom du groupe vient de là-bas, c’était le nom d’un mec qu’on connaissait. On ne sait pas trop comment, mais on s’est mis à faire de la musique, et à beaucoup répéter car on avait accès à un studio à Montreuil, de par mon ancien groupe. En bossant régulièrement, nous avons trouvé notre son et nous avons développé ce que l’on fait actuellement assez naturellement. 

Loren : Exactement comme ce que l’on fait en ce moment pour le deuxième : on bosse en répétant, quasiment sans faire de concert.

Baptiste : On a une approche assez live, on fait tout en répétant. On enregistre dans nos téléphones et on part de ça, rien n’est arrêté. Ca ne fonctionnerait pas autrement car notre musique vit avec le live, la tension et l’énergie.

 

Donc la tension et l’énergie énervée que l’on ressent dans votre premier album viennent de vos caractères respectifs ? 

Baptiste : Pas forcément (rires). Les périodes où on a écrit ces chansons étaient un peu dark pour nous deux, je pense que ça a alimenté ce ressenti. Et puis nous avions un besoin de surenchère quand on répétait ; il fallait toujours mettre plus fort, faire plus de bruit. Sans avoir une idée précise de ce qu’on voulait faire et sans vouloir forcément de la noise. Nous sommes allés naturellement vers ce style. 

 

Tu parles d’un second album, ce serait pour quand ? 

Loren : Pour l’automne prochain, le temps de tout enregistrer, de faire la pochette, et puis on ne croit pas trop en l’été prochain pour jouer donc on préfère prendre notre temps.

 

Il sera dans le même style que Grave ? 

Loren : Pour le moment un peu moins.

Baptiste : Dans la finalité je pense que oui, car c’est un peu tout ou rien. C’est-à-dire qu’on serait obligé de faire complètement différemment, ce qui serait probablement très bien aussi, mais on a maintenu cette manière de travailler pour des lives. On veut faire de la quadriphonie et garder cette tension en concert. 

Loren : Puis cette idée de tension, c’est un peu le ciment de ce que l’on fait. Si ce n’est pas là au départ, ça viendra avec les superpositions. Parce que quand tu décortiques les morceaux, il n’y a pas grand chose, il y a vraiment un accord et tout part avec la surenchère. C’est pour ça qu’on a vraiment besoin de répéter très fort, et même là, on trouve que ce n’est pas assez (rires).

 

Est-ce que la conjoncture a changé votre rapport à la création artistique ?

Baptiste : Non, car nous avons fait le premier confinement ensemble en Lozère et donc nous avons pu continuer à faire de la musique. Et maintenant, comme nous sommes résidents à La Station, nous pouvons y aller pour créer.
Ça a surtout modifié le fait de travailler plus et plus intensément. Là, on prépare le prochain album, on est en train de l’écrire et on va l’enregistrer pendant l’hiver. Ça ne change pas grand chose car ça aurait été un moment où nous n’aurions pas fait beaucoup de concerts. 

 

Bracco : Interview
© Marthe Pitous

 

Depuis combien de temps êtes-vous résidents à La Station ? Comment ça s’est fait ? 

Baptiste : C’était des copains, ils sont venus nous voir jouer et ça leur a plu. Ils aiment sortir de certains cadre et pousser de jeunes projets. Et il y avait un aspect affectif, donc ça s’est fait naturellement.
Puis entre les groupes on est tous copains, il y a vraiment une ambiance. (N
dlr : Jessica93, Le Villejuif Underground et Bryan’s Magic Tears partagent les studios de La Station avec Bracco)

 

Et quel est le processus de création de Bracco, qui fait quoi ? 

Baptiste : En général, Loren fait un truc, je gesticule dessus (rires) et l’on se répond comme ça. Donc tout se fait plus ou moins en improvisant ; on garde ce que l’on aime et on l’enregistre dans nos téléphones.
Ça me permet de réécrire les paroles, pour leur donner plus de sens, et de faire le tri entre ce que l’on a aimé ou pas. En gros, c’est une sorte d’improvisation, construite derrière.

Loren : Et on compose toujours ensemble en studio, pour qu’encore une fois, il y ait ce truc d’énergie et de tension, et qu’il n’y ait pas ce jugement de j’aime, je n’aime pas. Ça prend ou ça ne prend pas mais ça élague pas mal de choses. 

 

Pourquoi chanter en anglais ? 

Baptiste : J’ai toujours écrit en anglais et les musiques que j’écoute le sont souvent. On a essayé le français une fois et ça n’avait pas du tout pris (rires).
Ce n’est pas le même exercice et en plus il y a vraiment une prise de partie émotionnelle ; le fait de chanter dans une autre langue ça met une distance et tu gardes surtout l’aspect émotionnel alors qu’en français, tout prend plus de sens.

 

Et tu suis un fil conducteur quand tu écris les paroles ? 

Baptiste : Il n’y a pas vraiment de sujet, enfin, quand j’essaye c’est des trucs soi-disant engagés. Je trouve ça finalement plus chiant, je préfère écrire sur quelque chose que je ressens plutôt qu’une idée sur laquelle je ne me sentirai pas forcément légitime de converser. 

 

Donc pas de sécurité globale dans le deuxième album ? 

Baptiste : La plupart des chansons (pas les nôtres) parlent d’amour, parce que c’est des lieux communs. Là c’est un peu pareil : tu peux exprimer la version que tu as pour quelque chose et utiliser un champs lexical qui appartient à des situations donnés ou à des sentiments. Ce que j’aime, et que nous essayons d’atteindre, c’est quelque chose de très émotionnel, donc peu importe de ce dont on va parler. Si la tension que nous avons a mis dans la musique se ressent, c’est l’essentiel. 

Loren : Et puis ça dépend du public et des lieux dans lesquels nous allons nous produire. Il n’y a pas que les paroles, mais aussi la communication entre notre énergie et le public. Et comme le disait Baptiste, on est ni dans de la noise, ni dans le rock ou la pop. On essaye de rendre le truc un peu hybride et à travers ça, par rapport à la sécurité globale, c’est clair qu’on ne va pas aller jouer pour des flics (rires).

Baptiste : Si quelque chose te casse les couilles et qu’en écoutant la musique tu vas le ressentir, c’est que c’est une bonne chanson, peu importe ce qui est dit. Le morceau ne nous appartient pas vraiment, parce que la personne qui l’écoute a sa manière de l’interpréter. C’est aussi pour ça que je préfère l’anglais, parce qu’il y a un truc un peu plus libre ; je pourrais chanter en charabia, le but est de le ressentir. 

 

Tu parles de votre style hybride, si vous deviez vous catégoriser, vous vous situeriez où ? 

Baptiste : J’imagine qu’avec les copains qu’on a et avec les milieux dans lesquels on traîne, on est forcément collé à un style. Au niveau de la musique en elle-même, c’est sûr que ce n’est pas du pop parce que c’est pas fait comme mais après je ne trouve pas que ce soit forcément du punk ou du post punk, ce n’est pas non plus de la musique électronique. Du rock moderne peut-être (rires). Je ne le dis pas sérieusement mais parfois je dis qu’on fait de la musique underground parce qu’on est rattaché à un milieu où on fait les choses nous-même. 

 

Bracco : Interview

 

Je reviens sur le premier album, Grave. Pourquoi “Fribourg” comme premier titre ? 

Baptiste : Quand on fait nos morceaux, on met des noms dans l’ordinateur pour les enregistrer, et on a joué plusieurs fois à Fribourg.

Loren : On revenait de Fribourg quand on a commencé ce morceau, on avait fait un concert dans un bar routier très cool, leBad Bonn. Les Oh Sees y sont allés plusieurs fois par exemple, c’est très bucolique, c’est vraiment beau ! Ils ont aussi un super festival. 

 

Vous avez joué dans d’autres groupes avant Bracco ? Et en ce moment, vous avez des projets en parallèle ? 

Baptiste : Je jouais dans un groupe qui s’appelait Los VV’s, on a eu notre petit moment de gloire dans le milieu du garage et maintenant je fais d’autres trucs à côté, mais rien de très sérieux. Je joue depuis peu avec Bisou de Sadam, et je joue aussi avec un pote, mais rien d’aussi poussé qu’avec Bracco.

Loren : J’avais un projet plus pop quand j’étais ado, on est aussi passé par du Math rock. Depuis j’ai continué avec des potes sur des évènements et sinon j’ai fait quelques musiques pour des films expérimentaux. 

 

Et quelles sont vos influences artistiques, et vos favoris du moment ? 

Baptiste : On n’écoute pas du tout les mêmes choses et c’est d’ailleurs ce qui est intéressant, sinon on irait vite vers telle ou telle chose.  Mais on s’est rejoint sur Dirty Beaches et Suicide. Sinon, en ce moment j’aime bien Anika et The Honeymoon Killers. 

Loren : J’ai pas mal saigné le dernier album de Tyler, The Creator, après j’ai pas mal écouté Crack Cloud ou Arca. 

 

Et sinon, c’était comment de jouer à La Villette ? 

Loren : C’était super super cool. 

Baptiste : C’est le genre de spot où on traîne depuis longtemps et La Villette c’est un peu l’étiquette quand tu fais ce genre de musique. C’est pas une consécration mais c’est un espèce de point d’orgue, c’est un peu la classe. C’était particulier pour nous, on était vraiment très contents de le faire. Après il y a eu d’autres super concerts.
Celui-là a un peu un sens pour les parisiens, parce que c’est le seul évènement gratuit avec de la bonne musique, et pas des trucs pétés. L’aspect cool avec La Villette, c’est que ça permet à plein de groupes chouettes de se faire connaître par un public un peu plus large. 

Loren : Et puis c’est donné à tout le monde d’y aller, il y a toujours eu une super programmation, très pointue. 

 

Vous appréhendez comment les concerts futurs, avec la conjoncture actuelle ? 

Loren : On n’y pense pas trop, s’il y a des concerts qui se présentent on en fera.

Baptiste : Et puis on est pas économistes donc on ne sait pas quels problèmes vont résulter de ce qui se passe. Mais même avant, ça faisait des années que c’était de pire en pire pour les musiques actuelles. Entre les problèmes de voisinage, les lieux qui ferment, etc. Ce n’est pas nouveau, peut-être qu’on pourra éviter les gouttes et continuer de jouer.

 

Comment imaginez-vous la suite des choses pour le milieu culturel ?

Baptiste : En matière d’art on va sûrement assister à la fin de beaucoup de choses. Rien que dans les formes de représentations proposées. Les musiques que l’on écoute se sont construites avec des gens qui se rencontrent et se nourrissent les uns les autres, donc je ne pense pas que les live internet aillent très loin. Et puis ce n’est tellement pas romantique ! Les gens qui se retrouvent en secret (ou pas) au fond d’une cave pour crier ce qu’ils ressentent ou ce qu’ils voient, c’est tout de suite plus excitant.
Les gouvernements totalitaires n’aiment pas trop la culture, donc ça me fait peur. Peut être qu’après la pensée unique de droite il y aura l’art unique de droite (rires).