Mavi Phoenix : Interview

Mavi Phoenix, c’est la promesse d’un renouveau musical. Particulièrement en Autriche, son pays natal, où les tops musicaux côtoient régulièrement musique traditionnelle et musique classique.
Ses productions, quant à elles, côtoient autant le hit machine que la pop ou le rap alternatif. Sans prétention, Mavi Phoenix brise tous les codes de l’industrie musicale.

 

Mavi Phoenix : Interview
© Mavi Phoenix

 

C’est d’abord sur Soundcloud que nous faisons sa connaissance. En 2014, toujours à l’école, elle sort son premier EP, ‘My Fault‘, qu’elle autoproduit et rend disponible partout. Un EP à l’image de l’adolescente qu’elle était à l’époque, reflétant ses préoccupations d’alors, entre expériences amoureuses désastreuses et quête de reconnaissance.
En mars 2017, elle publie ‘Young Prophet‘. L’EP, co-produit avec Alex The Flipper sort sur son label, LLT Records, créé pour l’occasion.
Les préoccupations ne sont plus les mêmes. L’artiste s’acoquine davantage avec le rap, tout en alliant subtilement ses influences pop. La production est plus léchée, le tout plus assumé.
C’est dans le troisième arrondissement de Vienne que nous retrouvons Mavi Phoenix, fidèle à ce que l’on attendait d’elle – jogging, t-shirt extra large et baskets dernier cri.

 

Peux-tu revenir sur ton parcours musical ? Si j’ai bien compris, tu as commencé par une compétition musicale ?

J’adore juste la musique. J’en ai toujours écouté et surtout différents styles, depuis que je suis petite. Et finalement, j’ai commencé à produire mes propres chansons quand j’ai eu 11 ans, juste pour m’amuser, sur mon MacBook. Parce qu’il n’y a pas de jeux vidéos sur les MacBook…
Alors j’ai commencé à utiliser des programmes, comme GarageBand, où tu peux créer des beat.
J’ai commencé avec ça, et continué là dessus. Finalement, je me suis retrouvée avec une tonne de chansons, des vraies chansons, que j’avais créées seule. Je me suis mise à les poster et les rendre disponibles partout. C’est la nouvelle manière de faire, tout le monde poste ses musiques sur internet maintenant.
Et puis quand j’ai eu 16 ans, j’ai participé à un concours, que j’ai gagné. C’était plutôt cool. J’étais toujours à l’école à l’époque. C’est après ça que j’ai sorti mon premier EP.

 

Tu viens de Linz. Pourquoi avoir choisi de t’installer à Vienne ? Pour la musique ?

Oui, c’était pour la musique. C’était, si je me souviens bien, fin 2015. J’étais venue pour étudier à la base. J’ai commencé à prendre des cours d’économie à l’Université. J’ai même fini par apprécier ça au final. C’était des cours de droit et d’économie.
J’étudiais, mais je continuais toujours à faire de la musique, tout le temps en fait. Mais ma vie ne bougeait pas vraiment parce que je n’avais pas de succès (rires).
Maintenant j’ai arrêté, je me consacre à la musique. Mais je suis toujours inscrite à des cours de politique à l’université. J’aime la politique, et je veux pouvoir l’étudier, mais il n’y a pas vraiment de finalité. Ouais… (rires).

 

‘Young Prophet’ ne présente aucun ancien morceau, et on sent une vraie évolution entre ton premier EP qui était sorti en 2015 et ce dernier. Comment peux-tu l’expliquer?

Eh bien, parce que j’imagine que je suis devenue plus professionnelle. Entre le premier EP et le second, ‘Young Prophet’, il s’est passé trois années. J’ai vraiment évolué en tant qu’artiste et je me suis améliorée. Je voulais montrer tout ce que je pouvais faire mais aussi tout ce que j’aime. Parce que au final j’aime tellement de choses différentes… Je ne fais pas vraiment de hip hop. Je ne m’appellerais pas moi même une rappeuse.
Bon, en même temps, je ne suis pas non plus auteur-compositeur, ou quoi que ce soit…
Je voulais pouvoir faire des choses différentes, mais ce n’était pas prévu. Je ne me suis pas dit « Ok, je vais faire quatre morceaux complètement différents ». C’est arrivé comme ça.

 

Justement, dans ton EP on entend différents genres musicaux, de la pop jusqu’au hip hop. Est-ce que ce n’est pas aussi lié à la diversité de tes influences musicales, ou peut-être par un choix de ne pas vouloir être forcément catégorisée ?

Oui, c’est probablement une des raisons – ne pas être catégorisée dans une case, oui.
Pour ce qui est de mes influences musicales, ce sont les musiques que j’écoute le plus, qui deviennent réellement des influences. Mais j’écoute vraiment de tout. Par exemple, je peux écouter du Daft Punk, période 2002, mais aussi du Coldplay, années 90. Je trouve ça vraiment dingue.
Mais en ce moment, j’écoute surtout ce qui date des années 2000. Je trouve qu’il s’est passé des choses très intéressantes sur le plan musical à cette époque. J’écoute aussi des trucs plus récents, mais c’est surtout pour connaître ce qu’il se passe en ce moment.

 

Est-ce que la scène musicale viennoise t’influence ?

Oui, il y a vraiment une scène musicale, mais tu ne peux pas vraiment dire “Vienne”. Si tu dis Vienne tu parles forcément de l’Autriche, parce que l’Autriche est tellement petite… Mais il y a une vraie scène musicale autrichienne, et plutôt variée : on va avoir des trucs assez traditionnels, avec des groupes, mais aussi de la trap. Il y a une grosse scène trap à Vienne. On a même des stars de la trap… Mais peu importe (rires).
Je ne suis pas très influencée par cette scène musicale, même pas du tout. Je suis plutôt tournée vers les Etats-unis ; j’ai toujours été assez influencée par les grosses stars américaines et cette idée de la grosse pop culture.
Puis j’ai commencé à me faire connaitre pour ce que je faisais ici, en Autriche, et j’ai fini par me rendre compte qu’il y avait aussi une scène chez moi. Avant j’étais là « Non, j’emmerde l’Autriche, y’a rien ici ». Mais maintenant je fais partie de cette scène, donc c’est devenu difficile de dire « J’emmerde la scène musicale autrichienne ». Aujourd’hui j’occupe une grosse partie de cette scène.
Mais… Pour ce qui est des influences, je ne suis pas vraiment tournée vers l’Autriche. Plutôt en permanence vers l’international.

 

Pour revenir sur ton ancien EP. Est-ce que tu te retrouves toujours dans ce que tu faisais auparavant ?

Oui, je joue toujours genre, trois anciens morceaux. Les trois que j’utilise, ils sont marrants à jouer, mais l’autre jour j’en faisais un à Berlin, Little of Your Time, et pendant un moment je me suis dit « Waw, waw, ça ne me représente plus vraiment, c’est un vrai retour en arrière ». Ce morceau date de quatre ou cinq ans, son histoire n’est plus vraiment actuelle. Donc c’était plutôt bizarre, oui. Mais c’est toujours amusant (rires).

 

Mavi Phoenix : Interview
© Randy Kambodscha

 

Tu as sorti ton EP, ‘Young Prophet’, sur LLT Records. Si je ne me trompe pas, c’est toi qui as monté ce label.
Est-ce que tu peux expliquer ce choix ?

C’est simplement parce que je voulais pouvoir être indépendante. Particulièrement avec le dernier EP, ‘Young Porphet’, parce qu’il ne se passait rien. Je n’avais pas de label donc j’ai juste décidé d’en trouver un toute seule et je voulais surtout pouvoir rester indépendante. J’ai vraiment l’impression que c’est devenu possible à cette âge de la musique. Tu connais Chance the Raper ? Il fait tout tout seul, mais littéralement, et c’est une superstar. Il arrive à se faire beaucoup d’argent, et sans les majors. En quelque sorte, il a un peu prouvé à tout le monde que c’était possible.
Moi, avec mon équipe, on pense aussi que c’est la nouvelle façon de faire, et j’avais juste envie d’essayer, ça me correspondait mieux. On en a beaucoup parlé récemment, surtout après tout ce qui s’est passé avec cet EP, particulièrement avec Aventura, et on a pensé à de nombreux labels, mais… Je ne sais pas. Je me sentais plus de faire ça moi-même.

 

Tu penses vouloir sortir tes prochaines sorties sur ce label ?

Je pense, oui.

 

Est-ce pour garder une entière maitrise sur ton travail ? Je pense aussi à tes clips, comme celui de Love Longtime.

Je ne suis pas sûre. J’aimerais que dans le prochain clip, on ne puisse pas faire la différence entre une grosse production et la mienne. J’aimerais pouvoir faire ça, mais bon, on verra comment ça se passe (rires).
Mais pour Love Longtime c’était le parti pris, de le rendre le plus possible do it yourself. J’ai coupé les prises moi-même, toujours avec mon MacBook, et j’ai fait le montage.
Tout était très DIY : le morceau, le clip… On l’a fait avec mon équipe, mais mon équipe se résume à trois personnes alors…
Je l’ai envoyé à mon manager, j’étais là « Tu sais quoi, on va faire le clip tout seul, et je te l’enverrai ». Il m’a répondu genre « Ok… ». Je l’ai envoyé et il m’a appelé en me disant « Waw, c’est finalement plutôt cool, laisse le comme ça ! ». Alors voilà…

 

Et les serpents, alors (Ndlr : Clip de Aventura) ?

Ce sont des vrais serpents (rires). Il y a un site en Autriche, où tu peux taper ce que tu veux.
Littéralement, tu tapes « serpents », et tu te retrouves avec un gars qui élève des serpents et prend soin d’eux. Alors il est venu sur le tournage avec sa boîte, il y avait genre six serpents, et au début j’étais là « Euh… ». Mais je devais le faire parce que tout le monde était présent, et si je refusais alors c’est tout le clip qui aurait été planté (rires). Mais en fait les serpents sont très sympas, très chauds (rires), et doux.

 

Quand tu parles de ton équipe, Alex the Flipper en fait partie ? Je le vois régulièrement autour de toi…

(Rires). Non mais… Je rigole parce que c’est vrai.
Je l’ai rencontré avec mon manager, je pense que c’était fin 2015. On s’était juste vu pour se rencontrer, il se demandait ce que je voulais faire. Alex the Flipper est producteur, il vit à Linz. À cette époque je vivais toujours là-bas.
Et puis je suis allée au studio. Il y avait ce morceau, Fly. La première version était très différente de celle qui figure sur l’EP. Je l’ai envoyé à Alex, et il a ajouté les guitares, et pleins d’autres trucs. Je l’ai écouté et je me suis dit « Mais qu’est ce qu’il fout ? Qui est ce mec ? » (rires).
Je suis donc allée en studio. Tu sais, c’est toujours assez bizarre ; on ne se connait pas du tout, et on doit faire de la musique ensemble, alors que c’est un truc très intimiste.
On s’y est retrouvé deux fois, mais rien ne s’est vraiment passé, on n’était pas sur la même longueur d’onde. Et puis je me suis remise sur sa version de Fly, je l’ai réécoutée, et j’ai trouvé ça plutôt cool. En rajoutant certaines touches, ça pouvait faire un bon morceau. Alors on est retourné au studio ensemble, puis on y est retourné pour un mois, et on a fait cet EP (Ndlr : ‘Young Prophet’). Et on a fini par devenir meilleurs amis. Nous faisons tellement de musique ensemble, que nous avons appris à nous connaître. Quand je joue, c’est aussi mon DJ, donc même sur la route on est régulièrement ensemble. C’est bien qu’on se soit rencontré. Et sa copine est aussi photographe. C’est ça mon équipe. Le clip de Love Longtime, on l’a fait tous les trois.

 

J’avais vu justement qu’il était ton DJ. Est-ce qu’à long terme tu aimerais pouvoir te produire seule sur scène ?

Non, je ne veux pas faire ça. Je suis plutôt du genre vieille école. Je produis mes morceaux, mais j’aime être entièrement présente. Je peux comprendre que certains artistes veulent le faire, parce que je suis productrice ; j’en envie que les gens comprennent que je ne suis pas juste cette fille qui est en train de chanter, alors je fais tout moi-même. Mais j’ai l’impression qu’il y a plus de connexion avec le public quand je suis vraiment présente sur scène, et pas sur les instruments. D’après moi, il faut un leader, et particulièrement dans la musique pop.

 

J’ai vu un live de Quiet, où tu étais justement accompagnée de musiciens sur scène.

Ouais… Le truc c’est que c’était ma première performance, où du moins une des premières, de Quiet en plus, et sur une chaîne de télévision nationale. J’étais vraiment nerveuse, et je n’aime pas vraiment ma voix sur certains passages, mais peu importe.
Oui, je peux m’imaginer être accompagnée à terme. Mais pour l’instant c’est tellement bien d’être juste accompagnée d’un DJ, parce que ça rend la chose plus réelle. On fait notre musique sur ordinateur, alors je n’ai pas honte d’en utiliser un sur scène. On reste des musiciens tu sais ; on écrit, on compose tout, et on joue les instruments…
Dans ma tête je ne me dis pas que j’ai réellement besoin d’avoir un groupe. C’est aussi plus cher. Je pourrai être accompagnée, oui, mais quand je serais plus connue et que j’aurai plus d’argent. À ce moment là, ça aura plus de sens.

 

Comment composes-tu ta musique ? En dehors des synthés, j’ai aussi vu que tu avais pris des cours de guitare.

Oui, j’ai appris à jouer de la guitare quand j’avais 12 ou 13 ans, pendant quelques années. Je peux jouer quelques accords, mais ça ne va pas plus loin (rires). Quand on compose, on est en studio, on a des claviers et des synthétiseurs. On joue des mélodies, et pour ce qui est de la batterie on utilise l’ordinateur, ou alors des samples. Enfin… Sampler est aussi un acte musical important. Il n’y a pas tout le monde qui peut sampler, même si c’est une mélodie qui a déjà été créée ; la modifier pour l’utiliser comme tu souhaites l’entendre, ce n’est pas facile.

 

Mavi Phoenix : Interview
Mavi Phoenix & Alex the Flipper – © Matthias Heschl

 

Des nouveaux projets à venir ?

Oui, j’en ai. En ce moment j’ai quelques morceaux qui commencent à ressembler à de vrais morceaux. J’en ai une poignée de finis, en fait. J’ai envie d’en partager un cette année, un de plus, et puis on verra !

 

Tu vas jouer au Pitchfork Avant-Garde fin octobre. L’an dernier au Pitchfork il y avait M.I.A., bon j’imagine qu’on t’a déjà référencée à elle…

Oui… (rires). Tout le monde… Je l’aime bien mais je n’en suis pas folle. Je préfère Justin Bieber à M.I.A (rires). Je ne sais pas… Je comprends pourquoi les gens pensent que je lui suis assez similaire. Mais ce n’est pas du tout une de mes influences en fait. Donc c’est assez marrant.
Mais ce n’est pas vraiment par rapport à la musique, pas vrai ? J’imagine que c’est plutôt par rapport au physique. C’est peut-être plus ça. Mais elle est cool alors ça va, je suis contente. Ca pourrait être pire, sans aucun doute (rires).