Speedrax, le petit robot qui rêverait d’une machine à remonter le temps

Speedrax, de son vrai nom Edouard Chapuis, est un artiste français ou peut être un robot, puisque son projet, qu’il a créé depuis maintenant quelques années, occupe de plus en plus sa vie et en fait même, en ce moment, partie intégrante.

 

Speedrax, le petit robot qui rêverait d'une machine à remonter le temps
© Edouard Chapuis

 

Il est franc, passionné, avec toujours beaucoup d’idées et de projets en tête.
Pendant plus de deux heures, nous avons parlé espace, science-fiction. Puis d’artisans, d’artistes, d’expression et d’éclectisme. Mais aussi plus généralement de l’industrie musicale, d’artistes actuels, et du fait que ce soit vraiment naze de catégoriser la musique, dans des cases qui ne sont jamais adéquates.

Speedrax est un personnage qu’il a créé entièrement, qui vit dans un monde galactique, mêlé de joie et d’horreur. Son nom ne vient de nulle part, c’est un « pote » qui lui a dit un jour « toi avec ta musique, tu devrais t’appeler Speedrax, c’est le méchant de Chuck Norris ». Puis il précise qu’en fait « ce nom ne vient de nul part ». « Je pense qu’il a confondu ».
Au final, l’ensemble donne un côté « plutôt hardcore, qui ne va pas trop avec la musique ».
Speedrax est « un bout d’Edouard », et en ce moment une partie intégrante de sa personnalité, en lien avec ce qui le touche : « l’amour, la mort et l’espace ».
Ce sont trois thématiques qui l’ont toujours intéressé, et qu’il exploite dans son projet.
« L’espace dans tous les sens du terme : la taille, le vide … Je suis là dedans, et je cherche toujours à parleSpeedrax, le petit robot qui rêverait d'une machine à remonter le tempsr des émotions les plus simples, la mort, la peur primale. Ce sont les premières questions auxquelles je pense et j’essaie d’en parler, de l’expliquer à ma manière. J’ai envie de parler de ce que je pense dans ce monde ».
Ce qu’il trouve important, c’est aussi d’avoir un imaginaire : «  Je serai toujours dans cette démarche de recherche. Et si Speedrax doit mourir, je changerai de personnage.
A la base, Speedrax c’était pour moi un personnage de science-fiction. Je pourrai faire un film de science-fiction avec ce personnage ; il serait un petit robot.
Ce qui est cool, c’est que je peux faire ce que je veux de ce personnage, je peux dire tout ce que j’ai envie de raconter ».

Son idée est de raconter cette histoire, comme « une bande son qui ne sortirait jamais », mentionnant au passage Beach House, qui est également dans cette démarche.
Le problème est aussi de ne pas se prendre au piège avec son personnage. Il le sait d’ailleurs très bien, et m’a donné pour exemple Sébastien Tellier. « Les gens diront que Speedrax est un mec qui réfléchit trop. C’est peut-être aussi parce que les gens ne prennent plus le temps de réfléchir aujourd’hui ».
Quand on lui demande de définir son style musical, Speedrax dit qu’il aimerait être dans la catégorie « musique du monde, le rayon où l’on ne sait pas où te mettre ». Puis, il admet qu’en écoutant sa musique, les gens doivent penser à l’électro, « malheureusement ». « Au final tout le monde fait de l’électro aujourd’hui, c’est un outil pas un style ». Autrement, il pense à la pop, mais préfère dire  qu’il n’a pas de style. « J’écris des chansons, après elles rentrent ou pas dans une case ».

Aujourd’hui, après la sortie de deux EP, Speedrax réalise son premier album, dont la date de sortie est prévue pour la mi-janvier. Il y restera fidèle à son personnage, se plaçant dans sa continuité et son évolution. On y trouvera un univers space-opera, une histoire d’amour et de science fiction.
Il estime que le style de l’album est assez psychédélique, « par les sons de synthés, de rock progressif, avec des structures un peu cassées ». « Ca m’ennuie car j’utilise des termes un peu sur-utilisé ; psyché-pop,  psyché-folk ».  Il pense aussi rester dans quelque chose d’assez pop, et au final traditionnel.
« C’est de la pop, de la musique populaire, mais avec un côté malin, sensible. C’est le plus important pour moi. L’idée de départ est de raconter une histoire ».
Il y aura un peu moins d’une quinzaine de morceaux, et si l’on en croit l’artiste, tous ont leurs places, et le son est juste.
Ils sont « empathiques, lyriques, avec peu de paroles. Il y a une économie de la voix, mais les interventions sont bien choisies ».
J’ai d’ailleurs pu le vérifier sur l’une des chansons de l’album, To the Stars.
Speedrax ne travaille que sur de vrais instruments : guitares, basse, batterie, piano électrique, synthés et boites à rythme. Il y  a un travail de mixage après.
« Je suis arrivé d’un truc studio à quelque chose de très hybride. Je ne sais pas si ca en donne quelque chose de qualité, mais en tout cas de très sincère. Pour moi l’histoire est très belle ».
L’évolution de l’artiste se voyait déjà sur ses deux EP, où il avait eu plusieurs publics. Pour l’album, il semble revenir vers le côté pop du premier, ‘Love Apocalypse’.

 

 

« J’ai gardé le coté féminin de Speedrax que j’ai développé. Sans vouloir être sexiste, je pense que Love Apocalypse est une chanson pour les filles, et je me suis mis de ce côté-là. ».
Le côté doux, féminin, que l’on retrouve aussi dans Way Back Home, ou Digital Memories, est celui qu’il a choisi de développer. « Ma manière de chanter n’est pas particulièrement éloignée de ma manière de parler. J’aime cette mélancolie des constats de merde, comme les déceptions amoureuses ou la mort ». Si on lui reproche parfois d’être triste, c’est parce qu’en vrai il l’est, « sans pour autant être malheureux ».
Speedrax est finalement plutôt content de son album  finissant même par le dépasser. Il trouve ça délicat : « Un peintre quand il voit sa peinture, il voit ce qu’il a envie de faire. Ici, j’en arrive presque à oublier ce que j’ai voulu faire, j’oublie que c’est de moi, et j’ai l’impression d’écouter quelque chose d’un autre artiste. J’en arrive même parfois à en être un peu jaloux ». « Je me dis, mince ce truc c’est ce que j’aurais aimé faire ».

 

Speedrax, le petit robot qui rêverait d'une machine à remonter le temps
© Kael Schlinder

 

Je le questionne alors sur sa manière de travailler. Il me dit qu’il a toujours cet « éternel équilibre entre l’art et l’artisanat ». « Est-ce que je suis toujours un artisan de la musique, ou bien un artiste avec une envie et une histoire ? ».
Souvent, il commence avec des mélodies qui lui viennent. Il a tout le temps son magnéto ou son téléphone pour enregistrer ses idées. Il les joue ensuite sur l’un de ses synthés. « Je travaille avec des synthés bidouillés, modulables ». Ce sera le cas de l’un des morceaux de l’album, Landspeeder.
« Si d’un coup j’ai une mélodie en tête, en deux  heures j’aurai un morceau. Ce n’est pas incroyable, je n’ai pas la méthode absolue, je suis juste dans une démarche spontanée naturelle et naturaliste. Je n’ai jamais été dans la surproduction ».
Il commence aussi avec des petits bouts de texte qui lui viennent à l’esprit et me donne un exemple : « J’adore les hôtels. Comme je raconte des histoires de science fiction,  je parlais avec des gens, ou avec moi-même, et je parlais du Venus Grand Hotel. Je me suis dit, c’est génial, mon personnage voyage dans l’espace et s’arrête à cet hôtel, car c’est celui qu’il préfère, et il va le décrire. Ca donne un morceau ensuite ».
Il pense aussi faire les vidéos seul, car il a étudié l’image et est photographe. « A un moment, si tu confies une partie du projet à quelqu’un, c’est plus le tien ». Etre dans cette démarche « complète l’histoire que j’ai envie de donner d’une chanson ».

Comme nous l’avons mentionné auparavant, Speedrax est passionné par la Science-fiction. Pour la composition de l’album, et il dit tirer ses influences des compositeurs de cinéma, tel que François Roubaix ou Ennio Morricone,  et est dans la même logique de composition. Il confie même avoir fait un hommage à Morricone, en appelant le premier titre de son album « Ennio ». Il ajoute également que « c’est un truc un peu sixties, avec des sons de synthés, mais qui ne sont pas du tout actuels ».
Je lui parle alors de Giorgio Moroder, il me dit vouloir « créer une machine à remonter le temps », pour créer des morceaux qu’il jalouse, comme ceux de Moroder mais aussi pour pouvoir changer des tas de choses qui « foutent la merde » aujourd’hui, et auraient pu être évitées dans le passé.
Sinon, il adore  « la bande originale de Blade Runner, le glamour de Bowie… et on retrouve tout ça. Le côté un peu torturé de McDowell aussi ».

Speedrax a aussi enregistré des reprises de groupes qui l’inspirent. Elles se distinguent par leur singularité. Il reprend les morceaux complètement, pour les encrer dans son univers. Je lui ai alors demandé si c’était un choix de vouloir en proposer une version alternative. Il m’a répondu que pour lui, une reprise qui ressemblait trop à l’originale était de la contrefaçon, même si elle était bien faite. C’était « profiter de l’aura d’une musique. C’est comme les mecs qui font des faux polo Lacoste, au final c’est nul ».
S’il fait aussi ce choix c’est parce qu’il a un son qui lui est propre, qui transparait dans sa musique.
«Je ne veux pas jouer un rôle, je ne suis pas un élève de la star ac, ou quoi. Par contre Sos d’un terrien en détresse, j’y ai pensé, mais la musique a tellement été reprise justement, qu’aujourd’hui elle a perdu toute sa valeur, alors que l’originale était grandiose ».
Ce qu’il veut c’est aussi « donner un autre temps, un autre ton » à une chanson.
Speedrax a  par exemple fait une reprise de Breakfast in America de Supertramp, l’année dernière.
Il affirme que c’est un groupe qu’il écoute depuis qu’il a 8 ans. « Goodbye Stranger, est une des plus grandes chansons de tous les temps, car il y a tout dedans. Ils arrivaient à passer des idées qui n’étaient pas intéressantes, ringardes, comme essentielles, comme éléments géniaux ».
S’il a choisi de reprendre Breakfast in America, c’est parce qu’elle représentait un message fort : « Le capitalisme, même si c’est hyper simplet. Le mec est super fier de ce qu’il fait mais il est jaloux, et c’est un des premiers problèmes que l’on a dans le monde aujourd’hui. C’est une musique empreinte d’un romantisme terrible, alors que les paroles sont pourries ».
Je lui dis qu’il y aussi un grande part d’ironie dedans, et il me répond alors « C’est une très belle ironie, et une preuve que la musique, la mélodie, peuvent donner un sens. Il y a des passages magiques de cette chanson, que j’ai choisi de ne pas ajouter justement pour ne pas casser cette magie ».

Speedrax, le petit robot qui rêverait d'une machine à remonter le temps
© Kael Schlinder

Speedrax mixe aussi. Il a d’ailleurs commencé par ça. Si aujourd’hui il préfère les live, il trouve intéressant de mixer car cela offre un rapport direct avec le public. « Tu as un contact direct, les gens te regardent, il y a des échanges. Des fois c’est négatif, t’as toujours un mec qui te fait un doigt au milieu » (rires).
Je lui ai alors demandé si ses sets étaient éclectiques et il a rigolé, pensant que ma question était improvisée.
« Mes dj sets sont éclectiques. Plus éclectique tu meurs. Bien sûr je me retrouve dans la section électro. Mais quand j’ai commencé, je mixais très dur, les trucs soft que je jouais c’était Yuksek. Aujourd’hui je mets par ex Supertramp au milieu ».

Je lui ai répondu que ça me faisait penser à cette histoire de boiler room de Grimes qui a été censurée, parce qu’elle avait passé du Mariah Carey en plein set (je vous assure je l’ai cherchée, mais elle n’est jamais sortie).
« Oui j’ai entendu parler de ça, moi je trouve ça génial, je ne comprends pas pourquoi ils censurent. Je le fais tout le temps. Un jour j’ai fait une soirée « hit machine », je suis loin de me prendre au sérieux, je ne suis pas du tout comme ces mecs. J’essaie d’éviter ca.
J’apporte peu de crédit à cette fonction de dj, donc je préfère la prendre comme de la déconne.
Ca peut m’arriver de passer AC/DC au milieu. Je passe aucuns morceaux originaux, toujours des remix ou des mashup que je fais, avec des rythmes de brodi, des riffs de AC/DC et une voix de Kylie Minogue par exemple ». Éclectique, « un joli principe avec un mauvais nom ».
Après il l’admet, il faut se sentir près pour le live : « Par exemple Fakear, son idée de faire un pad avec pleins de petits trucs courts, ça sert à rien. A la limite, pour une expo un peu expérimentale, ça serait super ».
Je lui ai répondu que c’était marrant parce que dans les interviews il disait qu’il avait plein d’influence justement.
« Mais alors pourquoi on ne ressent pas cette influence, plutôt ? Moi j’ai envie de faire un pas en arrière de ce monde-là. Moi j’ai envie qu’on parle de ma culture de musicologue, mon intérêt de la culture des lettres, les arts, le cinéma, la photo, la littérature.
Je lis des millions de livres, et je ne suis plus dans ça. C’est pour ca que je ne veux pas qu’on me mette dans la mauvaise catégorie. J’ai une autre culture parce que ma mère m’a mis un jour les Trois Mousquetaires dans les mains ».
Puis Speedrax s’arrête, et finit par dire : «  Ce serait marrant d’ailleurs de faire des lectures, avec juste une bande son ».

Speedrax nous a aussi fait une petite sélection de son top trois musical, après de nombreuses hésitations, car « il n’y en a pas que trois malheureusement » :
A Day In The Life des Beatles. Chanson très bien écrite, à la fois par Lennon et Mc Cartney.
C’est une synthèse absolue, car il y a tout : technique, expérimentation, producteurs.
C’est une chanson géniale qui devrait être une musique de réveil, pour tout le monde ; elle te met dans l’état dans lequel tu dois être”.
Exit Music de Radiohead. On l’entend aussi dans le générique de fin de Roméo et Juliette. Elle est incroyable car elle a une montée d’intensité géniale, et que c’est la chanson que j’aurais aimé écrire”.
Space Oddity, David Bowie. Ca doit être une référence pour tout le monde”.
« Le point commun entre tous les génies est qu’ils peuvent faire n’importe quoi ça reste génial. Ces trois-là sont les trois angles de ce qui constitue mon univers musical ».

Pour terminer, je lui ai demandé le surnom que lui donnait sa maman quand il était enfant, et voici ce qu’il m’a dit : « Je ne sais pas si elle l’a fait très tôt ou pas, mais elle a eu tendance à m’appeler Doudou, pour Edouard évidemment. Il y avait un autre truc, qui vient vraiment du sud, mais que j’arrive jamais à retrouver ; probablement « ma puce » ou « doudou ». C’est vraiment un truc qui s’est perdu aujourd’hui. Elle a du souvent m’appeler connard à part ça (rires), même si elle ne l’a pas toujours dit à voix haute ».