Effervescence espagnole

On associe souvent l’Espagne au tourisme, aux tapas, au soleil, voire à la peinture ou l’architecture. Moins souvent à la musique, folklorique et confidentielle ou bien trop dancefloor et kitsch, à grands coups de “moi sans toi et toi sans moi, qui peut être heureux ?” et d’autotune (oui Enrique Iglesias, c’est toi que je regarde). Mais ces dernières années ont vu souffler un vent de changement de l’autre côté des Pyrénées, tant sur le plan de la musique elle-même que de son exportation à l’étranger. Dans le sillage de ses deux capitales culturelles que sont Madrid et Barcelone les années 2010 y sont bien excitantes. Serait-on en train d’assister à la naissance, voire l’avènement, d’une scène indie et électro de qualité qui franchit les frontières et conquiert critiques et public internationaux ?

 

Madrid, Londres en Espagne

Cela fait quelques années qu’une poignée de groupes indépendants font bouger les choses dans la capitale espagnole. Nous pouvons penser entre autres à The Parrots et Los Nastys, fers de lance d’un revival garage et rock. Déconne, nonchalance, riffs sales ou mélodies brutes sont au programme. Comme si le fantôme de Pete Doherty ou d’Iggy Pop hantait les ruelles de Madrid et les coiffures savamment négligées de ces jeunes rockeurs (pose rock ‘n roll oblige). Les joyeux larrons des Parrots ont déjà quelques EP à leur actif, dont le dernier et excellent “Weed For The Parrots”. Depuis les premières jam sessions après les cours à la fac, les jeunes espagnols ont notamment eu un papier dans le NME, et joué au prestigieux festival SXSW aux Etats-Unis. Tout ça en chantant l’alcool, les filles, les soirées et les coeurs brisés, le tout en anglais. Rien de bien nouveau ? Sous le soleil de la capitale espagnole, et avec une bonne dose d’aplomb et de talent, il semblerait bien que oui.

 

Effervescence espagnole
The Parrots (© Hache)

 

Mais c’est surtout les jeunes Hinds, elles aussi chez Ground Control, l’agence des Parrots, qui captent l’attention en 2016. Là aussi, influences avouées et amours inavouées, la musique est brute, sans concession, et peu importe si cette guitare sonne faux ici, ou si cette voix surprend là, puisque les bonnes idées sont bien présentes et l’ensemble vraiment rafraîchissant. Qu’aurait fait Julian Casablancas s’il avait été une jeune fille madrilène ? Voilà à peu près la réponse.

 

Effervescence espagnole
Hinds en concert au Koko à Londres (© Michael Lee Jamison)

 

Les quatre espagnoles, auparavant duo nommé Deers, connaissent un succès fulgurant à l’étranger. Depuis leurs débuts il y a deux ans, et l’accueil de deux nouvelles musiciennes dans le groupe, articles dans la presse spécialisée et concerts sold out à Londres ou New York se sont succédé. Nous les avons vues récemment à Toulouse et Paris, et l’énergie communiquée en concert est assez impressionnante. En plus elles sont super sympas et on a pu les rencontrer. Leur album Leave Me Alone, sorti en janvier, est sans aucun doute l’un des albums évènements de ce début d’année.

 

Barcelone au rythme des machines (et de quelques guitares)

Au bord de la mer méditerranée, ce n’est pas exactement le même son de cloche. La ville vit surtout aux rythmes, mécaniques et sombres, d’une scène électro en pleine expansion. Effervescente et multiculturelle par nature, la capitale catalane se nourrit de plusieurs influences, américaines, anglaises et allemandes, et de différents courants, allant de la house à la minimale. Ce mélange détonnant donne naissance depuis peu à l’avènement de jeunes DJs et producteurs qui n’ont pas froid aux yeux, balançant leurs beats léchés et modernes au détour d’autant de clubs confidentiels ou éphémères que compte la deuxième ville d’Espagne. Car si la réputation du festival Sonar n’est plus à faire, c’est aussi l’incroyable concentration de bars, salles de concerts et évènements qui fait le terreau de cette éclosion. Deux noms sortent du lot : Marc Pinol et surtout John Talabot.

Ce dernier jouit déjà d’une certaine notoriété, a signé plusieurs EP et participé à de prestigieux festivals. Son nom est une valeur sûre de la scène électro internationale. Depuis 2009 il distille ses tracks savamment produits, à forte influence minimale mais remarquablement riches d’ambiances et de textures. C’est avec le single Sunshine, en 2010, qu’il explose réellement, puis son premier album « Fin » en 2012, qui récoltera 5 étoiles dans la critique du Guardian. Un son qui n’a rien à envier à Paul Kalkbrenner, Jamie XX ou Mount Kimbie et qui a définitivement un avenir et une voie tracée dans le monde de la musique électronique. Ecoutez plutôt.

 

Effervescence espagnole
John Talabot (© Erez Avissar)

 

Il en va de même du nouveau chouchou de ce courant barcelonais, Marc Pinol. Travaillant sur le même label que John Talabot, Hivern Discs, il a été pendant 15 ans le résident du Nitsa Club, et choisi parmi les meilleurs DJs espagnols à plusieurs reprises par la presse spécialisée ces dernières années. Là aussi, l’ambiance est sombre, voire froide, l’atmosphère riche et planante. Et la grande influence des XX sur la musique électronique depuis leur premier album en 2009 se fait sentir, pour notre plus grand plaisir. Son set à l’intérieur du musée des Augustins à Toulouse en mai 2015 était une expérience à part entière, avec un son très étudié, hypnotisant, qui prenait  aux tripes. A écouter ici.

 

Effervescence espagnole
Marc Pinol (© Mercè Rodriguez)

 

Mais il n’y a pas que l’électro à Barcelone. Le rock a aussi sa place, et il est incarné ici par trois jeunes filles et un jeune homme dont la moyenne d’âge ne dépasse pas 18 ans! Ils s’appellent Mourn, ont beaucoup écouté le rock des années 90 (PJ Harvey notamment), puis ont décidé de sortir leurs guitares, leur talent et leur aplomb avec un excellent premier album éponyme en 2015 et plusieurs tournées internationales. Signé sur le même label que Mac Demarco, relayé par Pitchfork ou le NME, voilà le groupe propulsé sur le devant de la scène. Un son très brut et direct, incroyablement mature compte tenu l’âge des membres, qui n’a pas tardé à dépasser les frontières et conquérir la Grande-Bretagne ou les Etats-Unis. Les lignes de basses et les riffs de guitare sont très clairs et les voix graves des deux chanteuses s’accordent à la perfection au fil d’harmonies intéressantes et plutôt osées, comme le prouve cet excellent morceau. Leur deuxième album est prévu pour Juin 2016 et on l’attend avec impatience! Définitivement un groupe à suivre, comme une grande partie de la très éclectique et excitante scène espagnole en ce moment!

 

Effervescence espagnole
Pochette du prochain album de Mourn, sortie prévue le 3 juin 2016 (© Alba Yruela)