Hip-hop cyborg apocalyptique d’Injury Reserve

« The train is still on schedule »

Et là, tu rentres dans le studio improvisé de ton grand-frère, il est avec un pote, il fait chaud et ça n’a pas été aéré depuis quelques jours. Tu avances dans les cartons de pizzas éparpillés au sol, ils ne font pas attention à toi. Le rythme hallucinatoire qui sort des enceintes te guide jusqu’à eux. Puis tu sais plus si tu perds connaissance, ou si l’encens t’as fait oublier ton prénom. Tu viens d’écouter le dernier album d’Injury Reserve. 

Les faits bruts : By The Time I Get To Phoenix est sorti le 15 septembre dernier sans aucun label, auto-production totale pour le groupe originaire d’Arizona. Le groupe – initialement trio – perd un de ses membres, Stepa J. Groggs à l’été 2020 ; Ritchie with a T et le producteur Parker Corey, les deux autres membres, font le choix de tout de même sortir cet album sur lequel Stepa avait déjà bien travaillé. 

 

Injury Reserve
Chris Almeida

 

Œuvre hommage et testamentaire à la fois donc, Stepa clame ses derniers vers sur le son métallique et cinglant Footwork in a Forest Fire mais surtout sur le sensible, touchant et au rythme obsédant Knees. Le reste de l’album suinte de ce désespoir auquel le reste du groupe fait face dans une époque déjà morne. L’émotion culmine dans Top Picks For You, ou comment traverser un deuil 2.0, quand les algorithmes de recommandations Netflix, Spotify et consorts continuent de tourner et de faire des propositions alors que ton ami n’est plus. 

Le groupe construit une véritable constellation autour de lui, le temps d’un album, à travers laquelle se mêlent US et UK, littérature et pop culture, hip-hop, rock, électro voire même jazz… Les deux plus beaux exemples à travers l’album restent la participation de Morgan Simpson, batteur prodige du groupe Black Midi (lire article Hardies sur le groupe), sur la première chanson fantasmagorique, Outside + le sample lancinant d’Athens, France du groupe post-punk Black Country, New Road, pour un résultat chaotique et bruyant, ultra lo-fi du meilleur goût sur Superman That

 

 

À noter surtout sur cet album – et peut-être sur les autres du groupe mais il faudrait que je m’y penche – ces samples d’anthologies. Pêle-mêle se bousculent The Fall, groupe du légendaire Mark E. Smith, Shellac, Black Midi, King Crimson, Brian Eno et même une pépite électro Vénézuélienne cosmique, signée Angel Rada, sans oublier les très nombreux accents kanyesques sans pour autant être directs. Name dropping quand tu nous tiens. 

Avant-gardiste, hors-norme, les adjectifs pullulent pour tenter d’évoquer ce nouvel opus difficile à cerner, difficile à décrire, qui désoriente de bout en bout et qui vient brouiller toutes les frontières. Malgré une petite lueur d’espoir à la toute fin de l’album, dans Bye Storm, By the Time I Get to Phoenix reste traversé par une détresse telle qu’elle semble insurmontable tout en étant paradoxalement le moteur de la création du groupe. De la boue de notre époque, Injury Reserve en a fait de l’or.