Goat Girl : Interview

Il fait déjà chaud sur la scène extérieure “Bamboo” du This Is Not a Love Song Festival quand débarque Goat Girl.

 

Goat Girl : Interview
Goat Girl – © Mag Hardy – De gauche à droite : L.E.D, Naima Jelly, Matt (agent), Clottie Cream, Rosy Bones – @TINALS Festival

 

Le groupe, stoïque, enchaîne rapidement les morceaux : Country Sleaze, Scum, sont mêlés à d’anciennes et de nouvelles compositions.
Des compositions qui ne sont pas encore sorties mais qui paraissent déjà familières pour qui écoute les nombreux lives du groupe.
De The Man à Slowly Reclines, les morceaux ne dépassent pas les trois minutes et possèdent la même énergie : la voix est nonchalante mais ne mâche pas ses mots, la batterie bruyante et cadencée, la ligne de basse forte et répétée…
Le public est vite conquis, mais le groupe reste impassible, par timidité, ou peut-être plutôt par indifférence ?

Toujours est-il que le quatuor sait entretenir le mystère qui l’entoure. Ce, même après la sortie d’un premier single en octobre dernier chez Rough Trade (Country Sleaze et Scum) et de l’important engouement porté alors sur elles.
On parle des londoniennes à travers leurs pseudos (Clottie Cream, Naima Jelly, Rosy Bones, L.E.D) et on les découvre dans leurs clips entre gros plans et jeux de lumière hypnotiques. Un décalage intéressant quand on prête l’oreille aux messages affirmés et engagés qu’elles déversent.
C’est finalement plus par le bouche-à-oreille que le groupe semble fonctionner. Et il en va de même pour leurs sorties : on y va doucement, on prend son temps.
Même si toutefois, elles confiaient déjà la sortie prochaine d’un single (paru le 20 juillet : Crow Cries et Mighty Despair) ainsi qu’un premier album, toujours chez Rough Trade.

 

Goat Girl : Interview
© Charlotte Patmore – De gauche à droite : Clottie Cream, Rosy Bones, Naima Jelly, L.E.D

 

Au fil de la conversation, on apprend que le groupe s’est rencontré assez tôt. Clottie, Naima et L.E.D avaient la quinzaine, et font la connaissance de Rosy quand la majorité atteinte, elles se mettent à fréquenter le Windmill (Brixton, Londres).
Trois années passent et le premier single sort – Country Sleaze (Face A) et Scum (Face B) signé chez Rough Trade.
Un choix intéressant (oui, un choix) face aux avances de plus gros labels (comme XL ou Domino) qui les suivaient de près.
L’envie était probablement plus celle d’évoluer en tant que groupe et d’éviter de tomber dans une dynamique trop économique.

“Bien sûr, c’est comme cela que les labels de musique, et que même l’industrie musicale en générale, fonctionnent. Ils doivent se bouger le cul pour faire de l’argent”, nous dit Clottie. “Le label que je préfère est un label que l’on trouve en ligne, où tout est en téléchargement gratuit, et où il n’y en a que pour la musique. J’aimerais que tout puisse être ainsi, mais ça ne fonctionne pas comme ça dans la réalité”.
Avant d’ajouter que ce n’est pas “nécessairement quelque chose de mauvais, ce côté business. Tu peux très bien t’en sortir d’une façon ou d’une autre si tu arrives à contrôler une part importante de créativité et si tu es assez libre dans ton travail. Et ça devient naturel, en tant que groupe, de faire cela. Je ne pense pas que tu ais toujours à te faire exploiter. Et je pense que, particulièrement dans les labels indépendants, on t’offre plus de libertés et ce processus de travail est beaucoup plus naturel. Nous avons beaucoup de chance d’avoir ça”.
Les deux premiers morceaux sont enregistrés au studio de Margo Broom à Londres. Assez rentre-dedans, ils expriment à travers une basse line très présente, des riffs de guitares bruts et une voix féroce, une critique assez violente de la société – et particulièrement l’Angleterre – dans laquelle elles ont grandi (Je suis dégoutée, honteuse, de cette soi-disant race humaine / Je pense sincèrement que quelqu’un à mis quelque chose dans leur verre, comment une nation entière peut-être aussi foutuement bête ?).

Le groupe qui aurait déjà plus d’une vingtaine de chansons en réserve, toutes aussi engagées, semble trouver en la musique un échappatoire, un véritable exutoire. Mais scander son dégout pour la “race humaine” et dénoncer le mal présent sur terre sont-ils leurs seules sources d’inspiration ? La musique serait-elle l’unique façon de proclamer ce mépris ?
“Oui !” nous répondent-elles toutes en choeur.
“Mais ce n’est pas la seule façon”, ajoute L.E.D, “Bien sûr, tu rencontres aussi des gens et tu discutes toujours de l’opinion que tu te fais d’eux avec quelqu’un. Tu auras une opinion opposée ou semblable à cette personne. Donc tu n’en parles pas seulement dans la musique”.
Clottie a elle une idée précise sur la manière dont ces sujets peuvent intervenir et influencer leur musique : “Cela vient de là où nous avons grandi,  comme à Londres. Cela vient de la gentrification, et des riches entreprises qui viennent ruiner l’indépendance de la musique, et qui viennent ruiner la vie des gens. Je pense que ça nourrit assez notre musique, et qu’elle se rapporte beaucoup à ça. Oui… C’est comme une riposte énervée contre tout ça. C’est important d’être assez politisé, mais en même temps, ça ne fait pas non plus de toi un bon musicien. Je pense que c’est juste important d’être attentif à tout ça et de le commenter”.
Des morceaux qui abordent les thèmes de la violence, mais qui peuvent eux-mêmes, dans leurs propos, paraître violents.
“Ca vient naturellement, c’est très instinctif. Aucunes de nous n’essaient d’être intentionnelles. Ca n’a pas été pensé”, nous répond Naima. “Mais tu ne peux pas répondre à la violence par la violence. Ca reviendrait à dire : tu me frappes, alors je te frappe. Ca n’a aucun sens.”
“Je ne sais pas”, ajoute Rosy. “Nous sommes violentes parce que ce dont on parle est violent. Mais nous ne sommes pas réellement violentes, ou en tout cas nous ne le voudrions pas. On ne fait rien de violent ; je veux dire, aucun acte réel de violence. On va plutôt chercher à faire comprendre un message – comme la violence. Mais ce n’est pas réellement violent et ça ne fait de mal à personne”.

 

Goat Girl : Interview
© Mag Hardy – Goat Girl @TINALS Festival

 

Clottie, qui écrit la majorité des morceaux, nous dit que ce n’est au final pas tellement à travers l’agression qu’elles parlent.
“Je pense que c’est juste plutôt comme un sentiment de désespoir et, d’une certaine manière, ne pas vraiment savoir comment contrôler ses émotions. Ce n’est pas quelque chose de pratique, c’est juste de l’instinct. Ce que l’on fait est très instinctif”.
Et quand on les écoute, on comprend ce besoin de parler, cette espèce d’urgence et cet empressement à vite lâcher ce qu’elles ont sur le coeur. Les morceaux sont courts, efficaces, tout en restant un brin distant avec cette nonchalance dans la voix de Clottie. La ligne de basse est répétitive, attire notre attention.
Cette préciosité et cette attention portées sur leur musique, qui permettent à la fois de séparer chaque instrument mais de les entendre aussi dans leur globalité, sont d’ailleurs des buts recherchés par le groupe.
“On ne veut pas être simplement dans un groupe”, nous dit Naima, “car on y perdrait de l’intérêt. On veut faire quelque chose où chaque membre aurait une présence égale ; que chaque partie que l’on compose puisse être tout autant remarquée qu’une autre. Je pense que l’on aimerait que chaque partie puisse être remarquée, en fait”.
Sur un ton beaucoup plus calme, Clottie ajoute que chaque morceau est “basé sur la simplicité, et sur le fait d’essayer de ne pas voler la vedette à l’autre”. “C’est un travail très collaboratif. Je ne sais pas… Je pense que ça donne l’impression d’être assez décontracté ou de ne pas être du genre à faire trop d’effort. Je pense qu’on est naturellement toutes comme ça. On aime être assez posées sur ça”.

“Quand on écrit une chanson”, finit par dire Rosy, “on se dit que les gens finiront par s’ennuyer quand nous, nous nous ennuyons. C’est de cette façon que nous terminons nos chansons. On se dit : ‘Et si là tout le monde finissait par en avoir marre?’. Alors on arrête la chanson rapidement. Ca se termine juste comme ça”. (rires)

Et le nouveau single ne fait pas l’exception : Crow Cries et Mighty Despair présentent le même format, le même soucis du détail.
Le premier est noir, rapide, conduit par un riff de guitare assez sombre. La voix de la chanteuse reste détachée, mais à la différence, ne semble plus se contenir. Auparavant, Clottie se calait au rythme. Ici, elle déverse des flots de paroles, suivie par les autres, qui donnent un vrai décalage et un aspect beaucoup plus brut au morceau. Comme si le groupe, qui en a lourd sur le coeur, avait décidé d’arrêter de se retenir pour nous déverser toute leur rage. Et à la fin du morceau, cette phrase prend tout son sens quand le groupe, qui crie, nous entraîne dans sa folie furieuse.
Le second, plus moderne, élargit le panel musical du groupe. Il forme une véritable continuité à Crow Cries : Les instruments sont imprégnés de la même noirceur et sont répétés tout au long, comme la voix, mélangée aux autres. Une voix qui ici viendrait même nous faire penser à Morrissey. On y trouve la même gravité, la même lenteur et la même accentuation forcée sur certains mots.
Mais ce qui étonne, c’est surtout cette batterie électrique, qui donne le rythme au morceau, et ce synthétiseur ingénieux, de plus en plus présent, qui finit carrément par nous faire danser.
Des morceaux qui nous confirment que chez Goat Girl, il n’y a pas de règles. On invente, on essaie, on innove, on surprend, intelligemment, tout en sachant rester cohérent.