Interview avec Paul Guglielmi, du label Boussole Records

Boussole Records est un label toulousain d’électro fondé il y a 3 ans. Depuis les premières soirées dans des petits bars du centre ville, ils ont enchaîné sorties de compilations, d’EP ou de single avec les excellents François 1er, Mangabey, Kendal (petite sélection musicale à la fin de l’interview), et bien d’autres. Jusqu’à remplir la fameuse salle de concert Le Bikini (1500 personnes) en juillet 2015 puis janvier 2016. Soirées enflammées et sorties digitales ou physiques se succèdent donc pour ces jeunes toulousains, proposant un large éventail de musiques électroniques. “Le petit label qui monte” ? Bon d’accord, l’expression est vraiment pourrie mais va pour cette fois ! Car Boussole n’en finit pas de monter et s’installe comme une valeur sûre de la scène électro.
Interview avec Paul Guglielmi, du label Boussole RecordsJ’ai rencontré Paul Guglielmi, qui travaille sur le label depuis le début de l’aventure, et qui gère également le site musical Bring Your Jack, pour qu’il nous éclaire un peu sur tout ça.

 

 

 

 

 

«  Salut Paul ! À quel moment es-tu arrivé dans le label et comment ?

Je suis arrivé au moment du changement du collectif en label. Les potes tournaient déjà un peu à Toulouse et faisaient des soirées, mais j’ai vraiment intégré l’équipe au moment de la création du label. On a fêté les 3 ans en janvier, c’est une belle ascension. On a atteint les 25 sorties plus tous les projets live, donc oui on est vraiment content !

 

Comment partir de simples soirées entre potes et se développer ?

Très naturellement, c’est du genre : “José (Mangabey) t’es chaud, fais une track, Romain tu t’occupes de l’artwork”, puis tu arrives vite à ta première release. Ça a bien marché, on a enchaîné les sorties. Puis quelques mois après on a eu l’idée de faire une compilation, pour montrer ce que nous voulions partager sur format plus long et pas uniquement sur single. Comme ça tu peux voir tous les artistes et les courants du label. En fait on n’est pas un label uniquement “techno” ou “house”, ce n’est pas ce que nous voulons donner au public. C’est plutôt un univers large. La troisième compilation est prévue pour bientôt. Là on a trouvé notre rythme de croisière, l’année dernière on était sur une sortie par mois, ce qui est conséquent. Maintenant c’est plus espacé, le premier EP, dont Mangabey s’est occupé, est sorti il y a un mois. Pour un EP par exemple il faut laisser le temps de le “faire vivre”, car c’est plus de travail et plus de contenu qu’un single.

 

Interview avec Paul Guglielmi, du label Boussole Records
Paul Guglielmi (à gauche) et Valentin Brito (crédit photo : Louis Derigon Photography)

 

Etant donné l’univers large du label que tu décris, quelle est la culture musicale de ses créateurs ?

On a tous un spectre hyper large ! Personnellement, je n’écoutais que du rock quand j’étais plus jeune, puis j’ai basculé sur l’électro comme pas mal de monde en 2007-2008, avec le label Ed Banger en particulier. Et maintenant j’écoute de tout : par exemple PNL, ou alors Bicep, un duo de Belfast qui fait de la house hyper 90’s. En fait tous les mecs partagent le même avis, surtout sur ce qui est « classiques », rock, rock progressif que François (François 1er) écoute beaucoup. Et puis bien sûr à propos de l’électro, house, nu-disco, ou des trucs plus low-fi qui sont à la mode maintenant. On passe nos journées à s’envoyer des morceaux et ça fait plaisir, je bouffe de la musique, j’adore ça. C’est un peu l’idée de notre label, proposer tout cet éclectisme.

 

Comment avez-vous commencé à produire des artistes ? Qui était le premier ?

C’est José (Mangabey) qui s’est occupé du premier single. Romain était toujours là pour la partie graphique. C’est vraiment naturellement qu’on a proposé à José de s’occuper de la première, c’était un morceau assez efficace. Puis après on a enchaîné, donc 25 sorties et 12 projets dont 2 live (Mangabey et François 1er). On essaie d’alterner pour qu’aucun mec ne se sente délaissé. Là on a fait des « unrealised cuts », le premier est sorti en décembre, c’est Mangabey, KHALK et Kendal qui s’en sont occupé. C’est des morceaux qui traînent sur les disques durs. On se dit “il faut les sortir”, mais l’EP c’est compliqué, le single aussi, donc on fait un petit truc à la cool avec trois artistes à chaque fois. Là c’était assez centré house, mais ce n’est pas forcément sur un style défini. C’est plus un pot pourri de ce qu’il y’a sur les disques durs !

 

Interview avec Paul Guglielmi, du label Boussole Records
Pochette de la deuxième compilation de Boussole, sortie en mai 2015

 

C’est intéressant ce format ! Du coup je me demande : c’est quoi la “patte” Boussole ? Comment vous bossez sur les morceaux ?

Perso j’ai plutôt tendance à laisser carte blanche à l’artiste, surtout Mangabey qui produit énormément de morceaux. On se retrouve souvent dans son studio, on écoute tout ça, on supprime, on met de côté. En tout cas tout est très collectif. Par exemple José et Kendal travaillent beaucoup ensemble en ce moment. Ils ont fait un petit live improvisé chapelle des Carmélites, en plein centre ville de Toulouse. Mais après c’est surtout au niveau du studio, quand on écoute, je me dis que cette track pourrait sortir sur tel ou tel format. Puis j’en parle à Romain et Antonin (créateur du label, ndlr), on prend les décisions tous les trois mais les écoutes sont vraiment collectives. On ne commande pas les morceaux non plus ! Et il faut que tout le monde soit satisfait, que ça nous fasse tous plaisir ainsi qu’au public.

 

Je vois ! En parlant de public et de production, question plus générale : tu en penses quoi du marché de la musique aujourd’hui ?

C’est en pleine évolution, là on est vraiment dedans ! Je voyais encore avant de partir que Soundcloud proposait un abonnement pro pour avoir des écoutes illimitées. Ça c’était un truc qu’on voyait venir depuis longtemps, le streaming qui devient payant. Après, je trouverai toujours le moyen d’écouter de la musique gratuitement. Par exemple, avec Boussole, on était sur Soundcloud depuis le début, et là on commence à basculer sur Bandcamp. J’adore l’interface, c’est complet, c’est un truc sur lequel on relaie de plus en plus les sorties. Youtube aussi, pour trouver des sons, c’est vraiment le meilleur moyen. Nous, on est en format gratuit, c’est vrai que pour les labels proposant uniquement du payant c’est totalement différent et plus compliqué. Je précise quand même qu’on peut mettre le prix que l’on veut pour acheter nos tracks ou compils, 0, 2 ou 3€ par exemple. C’est grâce à Bandcamp d’ailleurs, qui est vraiment hyper bien pensé. Après je trouve ces évolutions normales, j’aime que les choses changent et ne restent pas bloquées. En tout cas je ne me sens pas dépassé par la chose en tant que gérant d’un label.

 

Interview avec Paul Guglielmi, du label Boussole Records
Les mêmes, à la Dynamo à Toulouse – © Louis Derigon Photography

 

Du coup tu vois plus Boussole dans une optique de simple partage que de commercialisation et marketing d’un produit commercial ?
Oui complètement ! C’était ça depuis le début et ça ne va pas changer. Quand on commençait nos petites soirées dans des bars, on se disait “tiens, ça marche” ! Et puis on voulait continuer pour mettre en avant les productions des mecs du label. C’était payant au tout début, par exemple sur Itunes, mais dès la 3ème release on a décidé de passer au gratuit. On s’est demandé de quelle manière on écoutait la musique. Bien sûr on achetait rien, du coup on s’est dit qu’on allait faire pareil pour le label. Après, les soirées sont payantes mais quand même abordables (5€). Sur ce point on a des rentrées d’argent, mais pas sur les sorties de musique.

 

C’est quelque chose qu’on voit de plus en plus souvent en effet. Tu penses qu’on peut réinventer le business de la musique sur ce modèle ? Je pense aussi à l’album In Rainbows de Radiohead en 2007, qui avait été novateur de ce point de vue là !

J’avais oublié, je m’en rappelle maintenant ! Oui dans ce domaine là c’est possible, fixer le prix que l’on veut c’est très bien. Par exemple Radiohead j’aime bien, mais je ne serais pas prêt à mettre 10€ pour l’album. Je pense que j’aurais coché la case gratuit. Mais je sais qu’avant, je téléchargeais illégalement, puis légalement, et j’achetais carrément le vinyle car j’aimais vraiment. Si tu aimes un truc, tu cherches la qualité, et tu peux être prêt à payer. En tout cas tu dois en avoir la possibilité. Je pense que c’est vraiment une bonne opportunité pour la musique.

 

Chez Boussole, qu’est-ce qui a changé pour vous aujourd’hui par rapport aux débuts ?

Le public est de plus en plus présent. On a fait notre première soirée au Bikini en juillet, on avait l’habitude de le faire dans de plus petites salles. Là on a eu l’opportunité et ça s’est super bien passé, c’était quasiment complet jusqu’à la fin de la nuit. On s’est dit qu’on avait réussi un coup dans cette aventure. On a refait complet en janvier pour les 3 ans, et ça revitalise tout le monde. Les gens sont là pour faire la fête, mais aussi car ils connaissent. On a fait une soirée à Bordeaux, à l’Iboat, et des mecs étaient venus spécialement de Toulouse. Donc oui le public grossit, et puis les sorties d’EP ont fait évoluer le label. Tous ces petits trucs font qu’on a envie d’avancer et de faire plaisir au public. En plus on a la chance d’avoir plusieurs artistes à Paris ; on a pu y faire quelques soirées, notamment au Panic Room. J’aimerais qu’on s’exporte dans d’autres villes du sud, Montpellier, Marseille par exemple. On avait commencé par un financement participatif, avec le site Kisskissbankbank, et après ce coup de pouce on a vraiment été lancés.

 

Interview avec Paul Guglielmi, du label Boussole Records
Et hop un Bikini complet – © Louis Derigon Photography

 

En parlant du fait de se lancer et d’évoluer, tu dirais quoi à un quelqu’un qui veut tenter sa chance dans la musique aujourd’hui, par exemple en montant un label ?

Je dirais qu’il n’y a pas forcément besoin de budget prédéfini au début. Juste d’une plateforme, genre Soundcloud, et de savoir s’entourer de gens qui ont la même idée que toi. Ça peut se faire assez rapidement. Si c’est toi qui produis la musique, et que tu as une identité, ça va vite. Tu peux envoyer à des djs, qui eux-mêmes envoient à des djs, et le morceau voyage, tout part de là. Tous les groupes facebook, comme celui du Weather Festival, ou de Chineurs de House sont vraiment une opportunité pour partager tes morceaux aussi, et rentrer en contact avec les bonnes personnes. C’est comme ça que les gens trouvent leurs sons aujourd’hui. Youtube est vraiment un outil génial pour ça. Mais il faut avoir une idée de la direction artistique quand même, et ne pas copier coller des tweets ou commentaires “écoutez mon morceau s’il vous plaît”. Il ne faut pas vraiment y penser, c’est juste se lancer et avoir un peu de culot. Il faut laisser le truc se faire.

 

Au fait, parle nous de ton site !Interview avec Paul Guglielmi, du label Boussole Records

Alors, j’ai monté Bring Your Jack il y a 6 ans avec un pote, que je tiens tout seul maintenant. C’était à vocation pop-rock au début, et là j’apporte une touche électronique. On a fait pas mal d’interviews, de comptes-rendus de concerts. Tous les jours j’écoute un petit peu ce qui se passe, je poste des articles, c’est une manière de me tenir à jour de tout ce qui se fait. C’est aussi hyper intéressant pour Boussole, de toujours avoir les oreilles ouvertes sur tout ce qu’il y a de nouveau. Je fais gagner quelques places pour tout ce qui est sur Toulouse, je fais de la pub gratos pour les festivals, et c’est toujours un immense plaisir de partager ça !

 

Toi qui es dans le milieu de la musique, et vois au plus près ses évolutions, si tu devais faire des suppositions sur la manière dont elle aura changé dans 10 ans ou 20 ans, tu dirais quoi ?

En ce moment il y a un gros retour de la house des années 80 et 90, mais après je ne saurais pas trop dire. Chercher le son du futur, c’est une obsession pour certains. Je pense à des labels comme Sound Pellegrino, Fade To Mind, Pelican Fly, qui proposent une vision très ouverte de ce qui peut se faire plus tard. Après tout va tellement vite ! Par exemple on dit que l’EDM (electro dance music) est finie mais peut-être que c’est juste une campagne de com’ complètement organisée. Mais je vois déjà des mecs comme Kanye West, qui essaient vraiment de faire évoluer les choses…

 

Kanye ? C’était ma prochaine question ! Je te le dis direct, c’est un mec que j’admire, et son album Yeezus m’a mis une des plus grosses claques de ma vie. Qu’est-ce que tu penses de lui et de son rôle dans la musique aujourd’hui ?

C’est une chance de l’avoir dans la musique, perso j’adore ! C’est impossible de comprendre comment il fonctionne mais il sait s’entourer à fond, justement des mecs de Pelican Fly par exemple. J’ai vu une vidéo incroyable, des français qui racontent les sessions d’enregistrement de son album Yeezus : le défilé de stars dans le studio, tout le monde qui cherche des idées tous les soirs très tard… J’ai été surpris de voir Dj Dodger Stadium, qui ont fait des supers productions, sur le label de Kanye. C’est incroyable de sa part de les mettre en avant, de les faire participer. Il a fait pareil avec Brodinsky et Gesaffelstein. L’album Yeezus, c’est un truc à part, au niveau de l’idée et de la recherche du son. Pleins de courants dans un seul objet, j’aime vraiment bien. Continue Kanye ! (rires).

Interview avec Paul Guglielmi, du label Boussole Records
La pochette (ou non-pochette ?) de Yeezus, 2013

 

Sacré Kanye… Pour revenir à Boussole : dis moi pourquoi tout le monde devrait venir aux soirées !

Alors… Les mecs savent qu’ils vont passer un bon moment. C’est un peu notre idée, des fans nous avaient dit : “on vient parce qu’on sait qu’il y a une bonne ambiance”. Après, le prix est attractif, et on fait attention au niveau de la musique de proposer un spectre assez large, de 23h à 6h. Puis il y a aussi tout l’aspect visuel. Je déteste rentrer dans une salle et ne voir qu’un truc noir, j’adore quand il y a des visuels réfléchis, pour accompagner la musique. On met un peu le paquet là-dessus, mais aussi sur les nouveaux sons, pour rester qualitatif dans tous les domaines. Et ce sera le cas le 15 avril au Bikini.

 

Interview avec Paul Guglielmi, du label Boussole Records
La team Boussole au Bikini à Toulouse – © Louis Derigon Photography

 

Pour finir, ton top 3 musical ?

Ça serait des trucs que j’écoutais quand j’étais gosse en fait, et que j’écoute encore tous les jours, du coup de dirais le Best Of de Sade (1994), l’album éponyme de Prince (1979) et Abacab de Genesis (1981). Voilà !
Merci beaucoup Paul !

Merci à toi, à bientôt.
Pour la sélection musicale des artistes du label mentionnés, c’est par ici !