The Japanese House : Interview

À l’occasion de son concert au Hasard Ludique, le 25 janvier dernier, Hardies a eu la chance de discuter avec Amber Bain, aka The Japanese House.
Après avoir sorti 4 Eps d’une pop inclassable, évanescente et dansante, l’Anglaise est de retour avec son premier album, ‘Good at Falling’ (Dirty Hit, disponible le 1er mars). Juste avant son set, nous avons parlé sincérité, raison de vivre et évanouissements dans la Vallée de la Mort.

The Japanese House : Interview
© Mag Hardy – The Japanese House @Le Hasard Ludique

Pourquoi as-tu enregistré et sorti autant d’EPs avant ton album et dans quelle mesure était-ce une expérience différente d’enregistrer et de sortir un disque ?

Je pense avoir sorti autant d’EPS parce qu’ils sont comme des petits instantanés romantiques de la vie de quelqu’un. C’est aussi beaucoup plus facile et rapide d’écrire et sortir un EP plutôt qu’un album.
Je tournais beaucoup à ce moment-là, donc c’était la seule façon pour moi de sortir de la musique.

La différence avec l’album, à part la longueur, c’est que je suis restée dans le Wisconsin pendant deux mois, donc j’étais beaucoup plus absorbée dedans. Je n’ai pas quitté le studio, c’était dingue. Je me disais ‘C’est tout ce que tu as à faire pour le reste de ta vie’, alors qu’avec les EPs je rentrais à la maison à la fin de la journée.
Je ne sais pas ce que je préfère… J’aime beaucoup les EPs… Je pense que c’est parce que j’ai une attention un peu limitée (rires). Par exemple je ne peux pas assister à un concert plus de 20 minutes. Honnêtement si ce soir vous voulez partir au bout de 20 minutes il n’y a pas de problème (rires) ! Je comprendrai !

 

On ne le dira pas aux autres (rires). Je voulais aussi te parler des paroles de l’album. Elles m’ont semblé beaucoup plus explicites et directes que dans ce que tu écrivais avant. Peux-tu expliquer pourquoi ? Est-ce que c’est quelque chose qui t’est venu naturellement ?

Oui, ça m’est venu totalement naturellement

Certains des morceaux des EPs ont été écrits quand j’avais 16 ans. J’ai souvent du mal à comprendre la signification de ces chansons, ce dont elles parlent. C’est comme si le sens était séparé des paroles… Un morceau comme Leon par exemple ; le sens m’échappe mais il y a quelque chose d’étrange dans la somme de ses mots, et quand je le joue je suis très émue.

En ce qui concerne l’album, les paroles sont plus explicites car je pense être devenue plus honnête et directe dans ma vie personnelle ; plus honnête vis-à-vis de ce que je ressens.
L’album parle de beaucoup de choses : ma santé mentale, l’hypocondrie, la dépression, les troubles alimentaires, les problèmes liés à l’alcool… Un morceau comme Everybody Hates Me (Ndlr : « Tout le monde me déteste ») est parlant.
Si tu choisis de donner ce titre à ton morceau, tu ne peux pas être insipide, tu dois le dire franchement.
Donc je l’ai dit franchement et tous les autres morceaux se sont aussi dirigés vers plus de sincérité.
Il y a toujours des métaphores et des parts de flou, mais c’est généralement très direct car j’ai des choses à dire.

 

The Japanese House : Interview
© Mag Hardy – The Japanese House @Le Hasard Ludique

 

Tu parles des sujets de tes chansons… J’ai ressenti beaucoup d’insécurité de ta part, dans des morceaux comme Follow my girl, Everybody Hates Me et somethingfartoogoodtofeel, qui m’a semblé presque masochiste, comme si tu ne t’autorisais pas à ressentir quelque chose d’agréable…

(Rires) Je ne sais pas… Je n’écris pas de choses joyeuses parce qu’être heureuse ne m’inspire pas. Quand je vais bien, je ressens presque une forme de malaise, parce que je sais que je ne peux rien créer, et j’attends que quelque chose arrive pour écrire dessus. C’est tordu mais c’est vrai. Je pense que beaucoup d’auteurs-compositeurs ont cette sorte de dualité en eux : être amoureux de soi et se détester au plus haut point. Cette juxtaposition d’émotions est ce qui aide à écrire et à sortir de soi, et à être son propre critique.

Dans l’album je dois paraître vraiment peu sûre de moi. Pourtant, Maybe You’re The Reason (Ndlr : « Tu pourrais être la raison ») par exemple, devait être une chanson d’amour, sur l’une de mes crises existentielles : je pensais que ma copine était ma raison de vivre. Pourtant on s’est séparées et j’existe toujours (rires). Et j’ai toujours une raison de vivre, car je suis peut-être que tout simplement ma propre raison de vivre. Cette chanson est donc assez déprimante, mais a un peu d’espoir…
Tout le monde cherche quelque chose, tout le monde ouvre des portes en pensant qu’il y aura quelque chose d’incroyable derrière. Puis finalement tu arrives à cette porte, tu l’ouvres et prend conscience qu’il n’y a que dalle derrière. La seule constante entre toutes ces choses c’est toi ; c’est toi qui fais les choses.

 

Oui… Tu te concentres sur le chemin et pas sur l’objectif.

Exactement.

 

Ça me fait penser à une question que je voulais te poser sur l’écriture. Comment tu décrirais ce que représente l’écriture pour toi ?

Dans une certaine mesure je me sens émotionnellement détachée du processus d’écriture. Beaucoup de morceaux me viennent très vite alors que je dois davantage travailler pour d’autres. Mais parfois, quand quelque chose me frappe, que je suis vraiment inspirée, je n’ai même pas l’impression d’écrire. Comme si ça se déversait en moi depuis une source bizarre. J’essaie toujours de parvenir à ce drôle d’entre-deux où je me dis « Oh, c’est en train d’arriver ». Évidemment, si c’est ton travail tu ne peux pas attendre comme ça, tu ne sais jamais combien de temps ça peut durer. Mais sur l’album beaucoup de morceaux sont venus de cette manière.
Sur un album, je ne pourrais jamais mettre un morceau qui ne serait, d’une manière ou d’un autre, sincère. Si un morceau ne part pas d’une impulsion honnête et naturelle, ça sonne faux.

 

The Japanese House : Interview
© Mag Hardy – The Japanese House @Le Hasard Ludique

 

Et quand as-tu commencé à écrire cet album ?

Certains morceaux sont vraiment vieux, de trois ans, d’autres sont plus récents. Je ne sais pas trop… J’avais des centaines d’idées et je me suis dit ‘Ok, je vais travailler sur celle-ci, puis celle-ci’. Ensuite je les ai rassemblées et ça y était. Tu peux dire trois ans. Tu peux dire tout ma vie (rires).

 

Je me posais aussi une question sur le dernier morceau, Saw You In A Dream, que tu as déjà sorti sur un EP. Pourquoi as-tu voulu le mettre sur le disque ?

C’est sans aucun doute, je trouve, le meilleur morceau que j’ai écrit. Saw You In A Dream est la chanson à laquelle je m’identifie le plus car elle parle d’une personne que je connaissais, qui est malheureusement décédée. J’ai vraiment eu du mal à y faire face et même à en parler pendant très longtemps. Écrire ce morceau a été le premier pas dans la confrontation avec la mort de cette personne. Je l’ai écrit en une minute et je trouvais que c’était une belle manière de parler de la mort de quelqu’un. C’est aussi pour elle que je l’ai mis sur l’album. Et c’était aussi important pour moi de mettre ce morceau quelque part.

J’adore les arrangements de la première version mais je pense que ce morceau est plus juste avec seulement des cordes et du chant. La version de l’album, c’est juste deux enregistrements live de moi. Donc c’est très brut et ma voix sonne super mal. Peut-être parce que je devais être en train de pleurer. C’est un morceau très spécial pour moi.

 

Une des choses qui m’a impressionnée, c’est que tu as, en gros, des paroles tristes, mais si on écoute uniquement les instrus c’est assez pop, presque joyeux, en tous cas on peut danser dessus !

Merci ! Beaucoup de personnes ne sont pas d’accord (rires). Oui, c’est en majeur… C’est joyeux.  Tu penses que c’est pop ?

 

Plus que tes Eps en tous cas.

Ok, cool. J’ai du mal à juger ma musique, je ne sais vraiment pas ce que ça rend. Je l’ai écouté des centaines de milliers de fois donc je ne peux pas être juste… (rires) C’est comme les klaxons à Paris. Comme tu les entends tous les jours tu ne te rends même plus compte quand il y en a. C’est exactement ce qui se passe avec mes morceaux.

 

The Japanese House : Interview
The Japanese House – Cover ‘Good at Falling’

 

J’ai aussi été très impressionné par les visuels, la pochette de l’album et celles des singles. Tu peux nous en parler un peu ?

Merci. J’ai pensé que ce serait une bonne idée d’être sur mes propres photos, dans un désert où il fait 50 degrés Celsius (Ndlr : dans la Vallée de la Mort). J’ai aussi pensé que ce serait une super idée d’être dans une combinaison (rires).

Le photographe qui a fait ça est un mec que j’adore, Jim Mangan, j’ai suivi son travail pendant longtemps. Il y a eu un malentendu autour de la Vallée de la Mort, parce que quand on est entré en contact, les photos qui me plaisaient le plus étaient celles qu’il avait prises là-bas. Du coup il était persuadé que je voulais absolument aller là-bas (rires). Mon management était persuadé que c’était lui qui voulait absolument y aller. Et une fois là-bas il a dit ‘Je sais que la Vallée de la Mort est quelque chose d’important pour toi’ et j’ai répondu non, je m’en fous si c’est dans la de Vallée de la Mort (rires) ! Est-ce qu’on peut aller dans un endroit plus froid ?
Je me suis évanouie une fois et le reste du temps j’étais dans un état semi-conscient. C’était deux jours très intenses. Mais je suis très contente du résultat. Il y a cette photo où je suis dans un bleu de travail allongée par terre… (rires) Dans le désert… Et si tu zoomes tu vois que mon visage est écarlate (rires).

 

Contente d’avoir entendu l’histoire cachée derrière ces photos… (rires) Tu es en tournée depuis plus de deux mois. Qu’est-ce que ça fait de jouer ces morceaux sur scène, comme ils sont plus personnels ? Est-ce que c’est différent d’avec tes chansons précédentes ?

Quand je les ai jouées pour la première fois personne ne les avait entendues parce qu’elles n’étaient pas sorties. Mais c’était très amusant ; c’est comme si tu avais un sondage gratuit. D’habitude je le vois grâce aux commentaires, aux streams, des trucs ennuyeux comme ça… C’est plus excitant de jouer une nouvelle chanson à une salle et de voir si les gens aiment, s’ils bougent ou s’ils me lancent des pierres (rires). Je n’ai pas encore reçu de pierres (rires).