La drôle d’histoire de George (Joji) Miller

« It’s been 2 months and I still haven’t figured out what to comment ».
Ces quelques mots trouvés en dessous du clip de Slow Dancing In The Dark de Joji sur Youtube montrent à quel point il est difficile de définir un artiste qui a passé la majeure partie de sa vie à troller les internets à base de vidéos trash. Mais ici, on parle musique, et après Miqui Brightside, on a encore eu un coup de foudre.

 

La drôle d’histoire de George (Joji) Miller

 

Joji, c’est une créature hybride rare, comme une rencontre fortuite dans l’obscurité d’une soirée que l’on n’oublie jamais.
L’effet est immédiat, quel que soit le premier contact : l’EP ‘In Tongue’ et l’album ‘Ballads 1’, sortis sous les labels EMPIRE (Kendrick Lamar, XXX Tentacion), 12Tone (Warner) et le label regroupant des artistes hip-hop asiatiques 88rising.

Le japonais, vivant aujourd’hui aux États-Unis, auteur-compositeur-interprète, nous sert un son brut, primaire, un mélange entre trip hop et RnB charnels, empreints d’une profonde et déchirante mélancolie. De ces découvertes qui apparaissent comme une évidence, une beauté indéniable caché sous des atours complexes et torturés. Une véritable expérience sensorielle. La voix parfois poussée, parfois rappée, égrène de courts poèmes tristes, comme des haïkus contemporains. Les productions et compositions, surfant parfois sur la vague d’un « cloud rap » ou « Emo Rap » à la mode (cf XXX ou Lil Peep), ne sont en rien une pâle copie du style, mais plutôt un déluge sonore dans lequel il est exquis de se perdre, entre les synthés, et les quelques riffs de guitares ou accords de piano perdus ici et là rappelant un folk-rock assez indie et exigeant.

Joji soigne également ses visuels. Ses clips sont à la limite de l’expérimental, abandonnant toute narration ou illustration classiques pour un visuel radical représentant au mieux les ambiances des morceaux. On se dit alors que Joji est un performeur, un artiste entier, qui ne peut laisser indifférent.

La bande son parfaite pour une déambulation poétique et solitaire dans une grande ville anonyme et bardée de néons, à la Lost In Translation, mais aussi l’évidence des refrains catchy et hip hop qui en font une musique de partage, de soirée. Rare sont les personnalités pouvant se targuer de jouer sur un tableau aussi large.

Mais c’est aussi et surtout un artiste unique. Japonais de naissance (Osaka), vidéaste depuis 2008, usant d’humour absurde, offensant, sous les pseudos de Filthy Franck et la chaîne Dizasta Music, Joji est un troll bien connu des internets. C’est lui qui a inventé le HARLEM SHAKE… inutile de dire que la transformation est marquante.
S’ouvre alors un aspect complètement différent de son œuvre et de sa personnalité : la maîtrise d’internet, du buzz, de la provocation, quasi primordiale aujourd’hui. Ce qui lui permet de jouir d’une fan base double : ses suiveurs sur internet, et les auditeurs de ses albums. Mais il a arrêté en 2017, pour cause de santé mentale. Une dépression qui déteint sur la beauté brute, déchirante et parfois dérangée de son œuvre.

 

La drôle d’histoire de George (Joji) Miller
Quand Joji était Filthy Frank

 

Résultat : une hype qui ne s’essouffle pas (et justifiée), et une tournée américaine et européenne quasi-complète, notamment le 8 décembre au Trabendo. Une démarche musicale originale, honnête, sans personnage, mais non dénuée de style et de talent.

Ce mélange entre mainstream et avant-garde, entre art internet, art populaire et art musical, en fait une sorte de Warhol des temps modernes, qui innove, toujours avec un temps d’avance. Déjà un artiste essentiel des années 2010 (et 2020?)