Hum Beauté Ma Chérie : Interview

En 2019 Hum Beauté Ma Chérie apparaît avec son titre Montagne Triste. Pseudo, clip monté à l’iPhone, veste de ski sur le dos… Tout porte à croire qu’il s’agit là d’une blague.
L’ironie pourtant passée, ce qui perturbe tend à positionner l’artiste dans un genre à part et dans lequel on se sent étrangement proche. Hum Beauté Ma Chérie ancre sa réalité dans le monde qui l’entoure : intériorités (Ostinato), déboires amico-amoureux (Modesta), relations connectées (1984)… Son écriture introspective et sa voix font autant échos aux chanteu.r.se.s de variété française qu’à ses contemporain.e.s évoluant dans le rap ou la pop urbaine. Rencontre.

 

Hum Beauté Ma Chérie : Interview

 

 

Comment a débuté le projet de Hum Beauté Ma Chérie ?

J’ai toujours fait de la musique, notamment du piano. J’ai eu une formation classique au conservatoire. Plus jeune j’écoutais beaucoup de pop et de chanson française, et vers 18 ans j’ai découvert le rap. J’en suis devenue obsédée. J’ai commencé à composer dans ma chambre, un peu à l’arrache avec Ableton. Avec les retours qu’on me faisait j’ai réalisé que j’étais capable de faire des chansons, alors que j’ai un gros problème de légitimité par rapport à ça (rires).

Ce qui a acté le démarrage du projet c’est ma rencontre avec Kelyboy. On est parti à la montagne pour produire et tourner le clip de Montagne Triste. J’ai compris que mes morceaux pouvaient avoir une vraie forme, être de la musique actuelle.

 

Dès tes premières compositions tu t’es dirigée vers ces deux genres qui t’influencent ?

Ce n’est pas figé, c’est plutôt en perpétuel renouvellement. Je me pose toujours beaucoup de questions sur la direction que je veux prendre.

Le processus de composition est à la base très chanson française, j’écris en piano voix, puis je passe à la production avec ma productrice Kelyboy. En général, je pose mon texte sur des type beat YouTube pour avoir des batteries de rap, ce qui me force à structurer mon texte sous cette forme. Après je le repasse au piano.
C’est un mélange des deux mais j’essaie d’être méthodique et de faire un travail spécifiquement rythmique et séparé, parce que je peux vite être sur une musique très pop.

 

J’imagine donc que les morceaux doivent beaucoup évoluer ?

Oui ça bouge beaucoup, même si un morceau est assez flottant jusqu’à ce qu’il commence à ressembler à quelque chose. Je pars souvent d’une mélodie de refrain puis j’essaie d’écrire des couplets plus rap. Mais c’est variable, c’est difficile de systématiser le process.

 

Qu’est-ce qui t’inspire pour composer ?

Pour les chansons à textes je vais écouter Christophe ou Alain Bashung. Mais je suis aussi très fan de rap et mes références sont assez hétéroclites : j’aime le rap old school, les premiers Booba où ça kick vraiment, mais aussi PNL ou Jul. Si ça kick et que c’est propre je prends.

Après je suis facilement touchée par des jolies mélodies qui portent, donc j’aime aussi beaucoup la pop. Quand j’étais petite j’écoutais Lorie, Priscilla, James Blunt… Des tubes pop avec des mélodies un peu faciles.

Ces trois genres vont être présents, de manière égale.

 

 

Comment as-tu rencontré Kelyboy ? Comment en êtes-vous venues à travailler ensemble ?

Par des connaissances communes, on a commencé à discuter de musique et on s’est rendu compte qu’on avait les mêmes références. J’imagine que Kelyboy avait envie de travailler avec des filles et de porter des projets de ce style, un peu hybride.

 

Vous avez fait l’audition des Inouïs à deux. Tu réfléchis un peu à ton format live ?

C’est susceptible d’évoluer à un moment mais pour l’instant on l’a pensé comme ça. Comme c’est elle qui produit les morceaux, c’est plus simple de les adapter ensemble pour le live. Même si pour le moment je n’en ai pas beaucoup fait. Bourges c’était impressionnant car c’était un de mes premiers véritable live, avec de vrais moyens, et j’étais devant cinquante pros, masqués, assis en face de moi.

 

D’ailleurs tu faisais partie des projets les plus émergents, comment as-tu vécu cette expérience ?

C’était une très bonne expérience de scène, donc je ne regrette pas du tout. C’était formateur, même si j’ai eu un peu le sentiment que c’était prématuré.

 

Est-ce que ça a eu des répercussions ?

Il y avait déjà beaucoup de pros qui me contactaient avant que je sois sélectionnée. J’attend d’avoir de vraies maquettes à leur envoyer dont je suis fière. Je n’ai pas envie que le projet m’échappe trop vite, et je dis ça sans prétention. Je connais pas mal d’artistes, et je sais que malgré toi, tu peux vite intégrer les attentes de pros. Même sans parler de signature ou autre, le simple fait de discuter avec eux va te faire comprendre ce qu’ils projettent en toi, et ça peut biaiser ton inspiration ou ta manière de composer. Mon projet est trop jeune, je sais que je risque de me faire matrixer le cerveau, donc pour le moment je préfère prendre tout ça comme un encouragement et une validation de la démarche.

 

Ta musique est assez hybride, à la croisée de plusieurs genres, comme pas mal d’artistes de la compilation Rurbaines de La Souterraine où figure ton titre Modesta. Tu te sens proche de cette scène ?

Oui, après tout le monde prétend un peu à l’hybridité aujourd’hui et a envie d’être original. Ma particularité, si tant est que j’en ai une, est de rester bloquée sur la question de l’écriture. C’est ce qui va primer et je suis très exigeante là-dessus. Les artistes que je connais et qui vont vers la pop urbaine laissent parfois tomber le texte au profit de la composition ou de la mélodie. Je n’ai aucun jugement, ce sont des choix artistiques, mais ce n’est pas celui que j’ai envie de faire.

Ces discussions je les ai régulièrement avec ma productrice. En tant que beatmakeuse elle veut que le son sonne bien, qu’il soit fluide. Mais dans la manière dont j’écris j’ai un côté hyper cérébral, j’accorde beaucoup d’importance au sens des mots, au sens des phrases et au sens des tournures, donc j’ai beaucoup de mal à faire des concessions. Là-dessus je me cherche encore un peu. Actuellement on cherche des artistes féminines qui font de la pop urbaine, et je n’ai pas envie d’y répondre facilement. En tout cas j’aurais l’impression que ce serait une forme de facilité de faire un truc très pop, avec un texte lisse. Ça ne me correspond pas et ça sonnerait faux, je pense qu’il y en a qui font ça beaucoup mieux que moi.

 

 

Au niveau de l’écriture justement, tes textes sont très personnels. Qu’est-ce qui t’inspire pour écrire ?

C’est une question hyper centrale, que je me pose beaucoup, surtout en ce moment. À la base ma musique était introspective, un truc exutoire… Le discours un peu classique. J’avais une forme d’urgence à mettre dans mes textes des choses que je ne savais pas mettre ailleurs, qui tournaient dans ma tête. Et pour arrêter de saouler mes potes avec mes histoires car j’ai tendance à tourner en boucle (rires). Pourtant, maintenant je commence à avoir presque une forme de gêne à parler autant de moi et de mon intériorité. Là on en revient un peu à mon rapport ambivalent à la pop : la pop est très tournée vers la circulation d’une subjectivité, d’une individualité. C’est ce qui me plait mais bizarrement j’ai du mal à incarner ça.

Je suis en train de repenser l’écriture pour essayer de trouver un équilibre entre mon identité et ma manière de voir le monde, mais avec une direction davantage tournée vers l’extérieur. Je suis peut être biaisée par mon taff et du fait que j’analyse beaucoup le sens social des mots, des paroles, ça m’enlève aussi peut être une forme de spontanéité. Je me lance le défi de faire des morceaux plus tournés vers le reste du monde, avec un discours social sans pour autant faire de la politique premier degré. Tu me demandais qui m’inspirait, en terme de pop urbaine/rap, au niveau des textes c’est Zed Yun Pavarotti. Il a trouvé un vrai équilibre entre parler de sa subjectivité et en même temps de faire des tableaux de ce qui l’entoure. J’ai une maquette qui est finie, Les Yeux Gris, je pense avoir trouvé là dedans l’équilibre que je cherche.

 

Ostinato est un peu différent. Qu’est-ce que tu peux nous dire sur lui ?

Ostinato c’est le morceau le plus personnel (rires). Je ne voulais pas parler d’amour, ça parle de mes intériorités et de mes angoisses, tout ce qui se passe dans ma tête. Ce morceau a été un déclic, car je n’étais pas très à l’aise avec la manière dont je me suis autoreprésentée.

 

C’est quoi la suite ?

J’ai sorti un titre sur une compile du label In Silico. J’avais une maquette qui trainait d’une reprise de Pierre Bachelet, Elle est d’ailleurs. On l’avait faite à l’arrache avec Kelyboy, pour rigoler, avec des kicks sur tous les temps du refrain. C’est un peu n’importe quoi mais c’est drôle, ça marche bien.

Après j’ai envie d’arrêter le process de sortie track by track, au final c’est beaucoup de travail et la composition finit par devenir presque mineure. J’ai envie de me recentrer sur la composition et la proposition artistique, plus dans l’optique de sortir un EP.

Donc là dans l’idée, la suite c’est composer, aller au bout de la production, puis réfléchir à la façon de le sortir. Si j’ai des maquettes vraiment bien et qu’il y a assez de matière pour que ça intéresse vraiment un label, ça serait un peu le rêve.

 

Les timings de sortie ont l’air souvent bien flou pour les artistes avec la crise actuelle. Est-ce que ça a eu un impact sur ta musique également ?

Pas forcément. Au final ça m’a davantage permis de me recentrer sur ma musique et d’avancer.
Le flou ça va plutôt concerner la vie de façon générale… Personnellement je me suis un peu excitée toute seule quand j’ai eu les retours de l’industrie et j’ai commencé à me sentir pousser des ailes (rires). Je ne sais pas si c’est à tort, mais finalement ça m’a presque bloqué dans ma créativité. Il y a quelques mois je ne savais plus trop où je voulais aller.

En termes de stratégie d’avancement, j’ai perdu du temps car j’ai arrêté de penser de cette façon, mais je pense avoir gagné en réflexion sur ce que je voulais artistiquement. C’était trop précoce de penser stratégie, et c’est un peu le piège de ce monde-là quand tu es dans les réseaux, mais il faut juste remettre un peu les choses à l’endroit. C’est pas parce qu’on t’approche qu’on veut te signer.

 

Hum Beauté Ma Chérie : Interview

 

Donc tu ne penses pas forcément au live pour le moment ?

Si je veux carrément en faire ! Les Inouïs ça m’a demandé beaucoup de préparation, mais ça m’a surtout donné envie de faire du live. Dès que ça va reprendre je vais chercher des opportunités. Après l’idée c’est de faire des trucs sans prétention, de m’entrainer au live et prendre plaisir. Pour le coup il n’y a pas besoin de se prendre la tête sur la cohérence du projet : t’as tes morceaux, tu les joues et tu t’éclates.

 

Même les premiers, très personnels, dont tu me parlais juste avant ?

Ceux qui sont sortis font partie du répertoire, de mon développement et de la cohérence de ce que je suis. Je ne les rejette pas du tout, même si je ne réécrirais pas la même chose aujourd’hui. Mais j’ai envie de les défendre. Des morceaux comme Modesta ou Montage Triste, mon préféré, je les trouve cools. C’est des morceaux que j’ai écris en totale spontanéité…

 

T’as l’impression de beaucoup plus réfléchir maintenant ?

C’est horrible, je suis bouffée par ça. Et en plus il se trouve que je travaille dessus, en tant que bébé chercheuse. Le gros problème c’est que je réfléchis trop à ce que je veux faire. Mon but c’est un peu de lâcher. C’est hyper dur.

 

Tu parlais de Montagne Triste, de quoi parle ce morceau ?

C’est l’archétype même d’un morceau écrit de manière spontanée. Tout est vrai dedans. Je suis souvent en montagne, et là j’étais en randonnée avec ma famille (rires). La montagne me fait un effet hyper particulier. Elle est tellement dépouillée de toute artificialité, plus du tout liée à l’urbain et au divertissement, que ça renvoie vraiment à soi-même, de façon presque violente. Tu n’as pas de divertissements pour t’oublier. Je me souviens avoir commencé à angoisser, et j’ai noté des textes. Quand je suis rentrée à la maison j’ai tout de suite écrit, j’ai pris mon piano, et ça a donné Montagne Triste.

 

On sent aussi que le clip est très spontané…

Oui c’était pareil, on l’a tourné à l’iPhone à l’arrache en une aprem. On est parti dans la montagne, avec un trépied et une veste de mon père, pris dans le chalet (rires).

Je pense que c’est ça qui fait que le morceau plait, ça se sent que c’est totalement spontané. Et ce truc-là, il est dur à préserver. Je pense que c’est le problème de tous les artistes.

 

C’est compliqué de trouver un équilibre entre la spontanéité et la redite aussi…

Oui c’est ça, à fond. En tout cas j’aimerais ne pouvoir faire que des montagnes tristes… (rires)