Da fuck : La place du mort

Sorti le 15 juin 2021 sur la Souterraine et un peu plus tôt sur sa page personnelle (car en fait l’album existe depuis plus longtemps, il y en a même eu un autre depuis mais peu importe, le temps est relatif et on fait ce qu’on peut, ce qui importe c’est de parler des choses) l’album La place du mort de Da Fuck est composé de 8 morceaux qu’on pourrait platement décrire comme de la musique électronique expérimentale, teintée de noise.

À cette description sans doute le lecteur avisé sera traversé par l’envie de tourner les talons tant il y a d’albums médiocres qui, cachés derrière l’excuse de ces qualificatifs fourre tout, se permettent d’appeler musique des successions de sons pénibles et sans génie, combinant manque d’imagination et expressivité souvent embarrassante. Remettez vos lacets, La place du mort n’en fait pas partie.

 

Da Fuck

 

Au premier coup d’œil sur la page bandcamp de l’album – celui sorti sous la souterraine, il faut préciser – il apparaît déjà que Da Fuck est une personne hilarante (sans ironie). Rien que le titre de l’album fait sourire : morbide, poétique, absurde, un peu trash, bref, parfait. Quand à la description de l’album, jugez par vous même:

“Je m’appelle Marc Durand.
Le nom de mon “groupe”, da fuck, est mieux que la musique que je fais.
Désolé pour le dérangement.

Aucune info supplémentaire n’est dispo sur www.dafuck.fr

Marc Durand / da fuckwww.dafuck.fr
www.MarcDurand.fr (là par contre ce n’est pas moi, mais le site est sympa)”

NB : Le vrai site de l’artiste est ici, et il vaut le détour.

On sent bien qu’on est parti pour se taper des barres avec Da Fuck. Spoiler : PAS VRAIMENT EN FAIT. Deuxième spoiler, on ne va pas parler de siège de bagnole (la vie est décidément une succession de déceptions).

Avant de commencer quelques mots sur la pochette, assez graphique, où on aperçoit un appartement dans lequel Marie Kondo ferait probablement un AVC, endroit où on imagine qu’a été conçu l’album. Au centre de ce décor trône un dessin naif et inquiétant, qui annonce la couleur de l’album (surtout pour le côté inquiétant). Fin de la description de la pochette.

 

“Tout va mal, tout va bien”

Dire que la musique de Da Fuck est intime serait à la fois un euphémisme et d’une platitude qui ne ressemblerait pas à la ligne de conduite journalistique que nous nous sommes imposé après avoir lu « le journalisme pour les nuls : comment dire des choses qui ne soulèvent aucune question importante en faisant croire que si » livre de chevet de tout éditorialiste de chaine d’information en continu dont la dernière des préoccupation est de se respecter.
Soyons précis donc, si nous étions des sphères imbriquées les unes dans les autres et que chaque couche, de la plus superficielle à la plus profonde, était numéroté en commençant à zéro et vers le négatif, et que l’intimité se situait par exemple à -10, alors on pourrait situer la musique de Da Fuck environ vers -100 (j’avais mis -1000 au début mais c’est abusé). Donc dix fois plus, c’est vous dire. Et si certains types d’expressions sont des coup de projecteurs sur la profondeur de l’âme, la on est plutôt proche d’un laser chirurgical, un coup de fraise de dentiste, une radiologie, qui révèlera à l’oeil expert ce cancer qui nous ronge tous : la vie, la recherche du bonheur et du sens et son échec inéluctable pour qui veut bien aborder les choses avec lucidité.

 

“Nous sommes peu de choses”

Tel un mentos de nihilisme dans le coca light de notre quotidien, la musique de Da Fuck fait ressortir nos sentiments les plus sombres par tous les orifices de notre corps, un peu comme une cure de drogue pour occidentaux paumés dans une tribu amérindienne en voie de disparition. Pourquoi est-ce qu’on s’infligerait ça alors ? Peut être parce que tout ça c’est mieux dehors que dedans, que tout ce qu’on ne veut pas voir, en fait, ça se voit, et qu’il est temps d’en prendre conscience ? Peut être mais pas que.

De cette matière première d’un noir profond, à la texture collante et poisseuse telle une flaque de sans plomb 95 sur le sol de la station service de Mantes la Jolie, Marc Durand aka Da Fuck va faire sortir quelque-chose de touchant et beau – super l’exigence sémantique ? parlez moins fort svp – et n’est-ce pas là une des plus belle mission de l’ART ? En voilà une question qui ne bouscule rien, bravo et merci. Une vraie recherche mélodique qui aboutit à une richesse qui manque souvent aux musiciens qui se risquent dans ce style, une grande précision et sensibilité dans l’agencement des éléments sonores, larsens, voix scandées sursaturées, batteries syncopées et autres bruits de bouche, son de la rue, bizarrerie non identifiés. Le tout aboutit à un résultat type noise, expérimental, un côté musique concrète aussi, un peu pop quand même, si si, les morceaux sont plutôt courts et structurés avec talent, la répétitivité est parfaitement dosée et les mélodies très présentes, et surtout étonnamment très doux malgré la tristesse. Est-ce que c’est parce qu’on est bien au chaud, dans cet appartement rempli comme un oeuf (retour à un état foetal ?) La musique de Da Fuck nous enrobe dans sa beauté, sa douceur, sa noirceur. Petit encart, pour les branchés ASMR vous allez passer un bon moment.

 

Da Fuck

 

Quant aux textes, il y en a peu, souvent scandés, souvent répétés. A cet autre exercice difficile, car oui c’est vrai que ça remplit une chanson de répéter la même chose, mais il faut encore savoir quoi, Da Fuck se révèle de nouveau génial. On sent bien d’ailleurs que la répétition relève plus de la nécessité que de la facilité, comme par exemple dans Nous sommes peu de choses réellement un des meilleurs morceaux entendu depuis longtemps.

« Comment je suis censé tenir le coup si toi même tu ne tiens plus debout ?
J’ai de la peine pour mes frères, j’ai surtout de la peine pour mes frères
Un jour tu partiras, j’espère que je serai déjà parti
Un jour tu t’en iras, j’espère sincèrement que je serai déjà parti »

Le Mike Tyson du premier degré, il n’y aura pas de deuxième round après ça. Ce serait beau de terminer là dessus mais un piètre rédacteur se devant de suivre les règles de construction d’article en dépit de sa sensibilité à laquelle personne ne fait confiance, voici une conclusion moins intéressante, moins jolie et avec une métaphore douteuse et une référence à la pop culture :

La Place Du Mort est un bulldozer émotionnel qui transpire la sincérité et la sensibilité. Marc Durand aka Da Fuck a l’air d’être quelqu’un de très drôle, et pourtant sa musique est des plus noires. Comme dans ce meme où deux ados rigolent ensemble, avec pour légende :

“Qu’est-ce que tu es drôle”
“Oui c’est parce que je suis malheureuse, dépressive et que je ne crois en rien”

On se demande alors pourquoi on sourit un peu devant le titre, est-ce qu’on fait partie des imbéciles qui rigolent devant le cynisme parce ça nous met mal à l’aise, parce qu’on ne veut pas voir que c’est la vérité ?