Norma : Interview

Norma a 25 ans. Elle écoute Fiona Apple ou Jack White et a été bercée au son de la country ou de la folk.
Norma, c’est un mélange de tout ça. Tout comme sa musique : entre langueur avec Breakup Song, et rock énervé avec In The Volvo.
Ces deux morceaux, premiers qu’elle partagea, laissaient déjà apparaître son univers : entre compassion et fascination, Norma s’inspire d’un monde littéraire et cinématographique pour écrire ses textes. Un univers où la mélancolie des femmes désabusées est omniprésente. Des femmes qui ne sont pas toujours au premier plan de ces histoires, mais qui obsèdent.
Son nom de scène reprend d’ailleurs plusieurs de ces figures agitées : de Norma Jean Baker (alias Marilyn Monroe), à Norma Desmond (personnage de Boulevard du Crépuscule) ou encore Norma Jennings (personnage de Twin Peaks).
Les textes de Norma sont fictifs, mais finissent aussi par s’inspirer de son histoire à elle, d’une certaine manière.
En 2016, elle s’enferme en studio pour réaliser son premier EP.
De cet EP, elle a déjà dévoilé Girl In The City. Le morceau est encore différent, étendant un peu plus le panel musical de l’artiste : il prend des airs de rap, quand elle scande son message contre le harcèlement de rue. Dans le clip, on retrouve Norma en femme forte qui affirme sa féminité, avec pour fond un rideau rouge lynchien.

 

Norma : Interview
© Lao Ségur

 

Peux-tu revenir sur ton parcours musical ?

J’ai commencé à prendre des cours de piano quand j’avais six ans. Mais il y a toujours eu des instruments chez moi et mes parents ont toujours écouté de la musique, donc j’ai été baignée dans la musique.
J’ai pris des cours de piano classique mais ce n’était pas le truc le plus exutoire (rires), donc j’ai vite commencé à prendre la guitare de mon père. Il m’a montré quelques accords, et puis j’ai appris dans mon coin. Ma mère avait une basse aussi, donc j’ai un peu tout appris de manière autodidacte. Quand j’ai arrêté le piano classique je me suis mise à faire des chansons au piano et je chantais tout le temps. Au début je faisais des reprises et puis j’ai fini par faire mes propres chansons.

 

Ton nom, Norma, est inspiré de plusieurs acteurs ou personnages de films. Pourquoi as-tu choisi d’associer ton nom à ces femmes qui ont des personnalités assez tourmentées ou plutôt mélancoliques ?

J’ai toujours eu envie de me cacher derrière un pseudo, et finalement je n’ai pas choisi. C’était tous des personnages mélancoliques mais c’était des personnages de cinéma qui me fascinaient tous. Notamment parce que, en effet, c’était des femmes qui avaient cette mélancolie, et moi c’est comme ça que je me sens depuis toujours.
Ce sont des personnages mélancoliques, mais qui ont une espèce d’apparente légèreté, et je suis un peu comme ça. J’aimais bien aussi l’idée de me transposer en personnage de film ou de livre parce que j’aime sortir du réel quand il s’agit de la musique. Tout le temps, en fait.

 

Tes textes paraissent très intimistes. Est-ce qu’ils s’inspirent d’expériences personnelles ou au contraire ce sont des fictions qui s’inspirent d’images, d’histoires mélancoliques ? Je me souviens que tu disais : «Les âmes brisées derrière les pavillons tranquilles de banlieue, la peine derrière le sourire, c’est ça qui m’inspire…»

Quand j’écris mes textes, je regarde beaucoup de films et ça me vient après. Je suis un peu boulimique de films, de livres … Au bout d’un moment ça crée une espèce d’univers visuel et sentimental, avec des sentiments, que l’on va retrouver par exemple dans des films, que je n’ai pas forcément vécus mais envers lesquels j’ai une espèce d’empathie. Au bout d’un moment ça fait un trop plein et ça crée une chanson.
Ce que je voulais dire dans cette phrase c’est que je suis assez fascinée par ce qui se passe derrière des choses qui peuvent paraître hyper banales ou de l’ordre de la routine, par exemple. J’ai grandi en banlieue et j’en ai une grosse fascination. Dans les films, dans les livres, ou même quand je vais me balader dans une banlieue, j’aime bien l’idée de quelque chose qui a l’air quelque chose. Par exemple, moi je sais que je parais jeune et légère, et pourtant je suis pleine d’angoisses et de tourments. J’aime bien quand les choses ne sont pas ce qu’elles semblent être, et aller là.

 

J’imagine que tout ce qui est visuel est une source d’inspiration pour toi ? Je pense au rideau rouge qui fait penser à Twin Peaks, ou l’histoire de In The Volvo qui fait penser à des films comme Thelma et Louise.

Oui il y a de ça. J’aime bien m’inspirer de tout ça et surtout moi j’aime bien me mettre en scène dans des décors. J’aime rendre les choses un peu dramatiques et j’aime bien le fait que le rideau casse avec le réel.
Sur scène je suis aussi toujours devant un rideau rouge. J’aime bien le côté un peu théâtral.

 

Norma : Interview
© Lao Ségur

 

Tu es assez influencée par la culture américaine, et la country j’imagine. Qu’est ce qui t’y fascine tant ?

C’est un des nombreux courants musicaux que m’a transmis mon père, qui écoutait beaucoup de musique américaine. Pas seulement de la country, mais du blues, de la folk, que j’ai beaucoup écouté avec lui.
La country c’est un des trucs qui m’a inspirée et les gens l’ont retenu parce qu’au début j’avais mis des photos où j’avais un stetson, ect. Du coup ça me colle un peu à la peau (rires). Je ne me plains pas car c’est une manière de provoquer aussi, car les gens réduisent souvent. Au début j’avais un stetson, et ensuite j’ai mis un béret sur des photos. J’aime bien me mettre en scène selon ce qui m’inspire sur le moment.
Quand je mettais un stetson c’était une période où je réécoutais vachement de country et je revoyais pleins de westerns. J’aime bien l’idée de suivre ce qui m’inspire, sans que ça ait forcément de concordance avec ce que je fais. Ma musique ce n’est pas du tout de la country, mais au début on m’a rapprochée à ça parce que j’avais porté un stetson.
En fait, tu donnes des signaux et les gens écoutent ta musique selon ces signaux et moi j’aime bien un peu brouiller les pistes.

 

Justement tes chansons sont très différentes ; il y a Breakup Song qu’on pourrait plus associer à une balade, In The Volvo qui est rock, ou Girl in the city qui se rapproche du rap. Tu trouves que c’est important de varier dans la musique ?

Oui, je trouve. Ce n’est pas du tout volontaire, c’est selon ce qui me vient. J’essaie de ne pas avoir de barrière et de ne pas penser en termes de genre. Mes artistes préférés sont des artistes qui se renouvellent à chaque album et sans se dire qu’il faut que ça colle, ect. On m’a souvent dit qu’au début les gens étaient un peu perplexes quant à mon style mais moi j’aime vraiment faire ce qui me vient.
Après In The Volvo et Breakup Song c’était des démos que j’avais enregistrées dans ma chambre, maintenant je les ai enlevées de soundcloud parce que je vais sortir mon premier EP. C’est vraiment une page que je tourne parce que c’était des démos que j’avais mises  là sans ambition. C’était vraiment pour lancer le truc, me projeter quelque part. Maintenant c’est beaucoup plus réfléchi et construit quand même.

 

Est ce que l’on va quand même les retrouver dans ton EP ?

Non. Enfin surement Breakup Song, dans une version arrangée.

 

J’ai lu que cet EP tu l’avais d’abord enregistré seule. Qu’est ce qui t’a fait changer d’avis ?

A la base, comme In The Volvo, je l’avais enregistré dans ma chambre. Mais en fait ça ne correspondait pas à ce que j’avais en tête et la manière dont je voyais les chansons. Pour moi ce qu’il y a de plus important c’est de faire de la musique qui te ressemble au plus profond.
Je me suis aussi entourée depuis d’un éditeur et d’un tourneur. Cela m’a donné comme un cadre professionnel et je me suis donnée les moyens de faire quelque chose qui me ressemblait. Je suis allée en studio avec mes musiciens et puis on a pu faire mixer l’EP par quelqu’un dont j’admirai le travail, qui a notamment travaillé avec Birth of Joy. Il a mixé l’EP dans une église.
Tout a été fait pour que l’EP soit amené dans la direction que je voulais, avec une dimension spirituelle, grande, et non plus des démos enregistrées sur mon ordinateur. En plus je suis limitée par la technique, j’aime pas du tout ça, donc je préfère quand il y a quelqu’un derrière les manettes et que je fais juste la musique (rires).

 

Est ce qu’il y a déjà une date pour la sortie de ton EP ?

Il sortira à la rentrée, à l’automne, mais je n’ai pas encore la date exacte. Il y aura 6 morceaux, dont Girl In The City.

 

Norma : Interview
© Lao Ségur

 

Ton dernier morceau, Girl In The City, parle d’harcèlement de rue, et tes paroles dénoncent une vraie réalité. Mais dans ton clip au contraire tu adoptes la posture d’une femme forte. Est-ce que c’est pour adopter une position féministe ?

En effet, les retours que j’ai eu c’était “girl power”, “blâme contre le harcèlement de rue”. Moi je n’ai pas tellement écrit cette chanson avec un message. Je suis pas fan de la musique à message, mais il se trouve qu’elle en a un hyper explicite et c’est normal parce que je l’ai écrite vraiment en dix minutes. C’était presque de l’improvisation à la base. Les gens y projettent ce qu’ils veulent.
Mais tu as raison, il y a un espèce de décalage entre les paroles et le clip, mais c’est ce que j’aime bien. Je voulais vraiment tourner en dérision à la fois ce que je disais et le sujet, le harcèlement de rue, qui est un vrai sujet qui me tient à coeur. Mais pour moi la musique c’est plus des émotions que des messages, tu vois.
Pour moi l’émotion c’était d’avoir le droit d’affirmer sa féminité tel qu’on l’entend, en dehors des codes, ect.
En plus c’est tellement difficile d’être une femme, de s’affirmer avec tout ce qu’on nous met dessus, que l’on a pas besoin à l’âge adulte de se faire héler dans la rue. On nous rend trop consciente de notre corps et pour moi c’est une torture ; la torture des rondeurs, des poils, ect. C’est un truc que je ressens hyper fort.
Après toutes les femmes peuvent mettre ce qu’elles veulent dans la chanson, et je pense que tout le monde peut s’y reconnaître aussi d’une manière ou d’une autre.
Mais en effet dans le clip je tourne un peu en dérision les codes des clips rnb des années 90, où il y avait une féminité un peu imposée par les codes, hyper lisse, ect. Moi dans le clip justement j’ai ma propre féminité et je suis la maîtresse de ma féminité, elle n’est imposée par personne.

 

Mais tu n’as pas peur que maintenant du coup on te colle l’étiquette de l’artiste féministe ?

Je suis féministe. Mais ce n’est pas mon cheval de bataille. Il se trouve que cette chanson parle de ça, c’est normal en étant une femme on reçoit plein de tension. Mais ça ne me dérange pas qu’on me colle cette étiquette, parce que je suis féministe (rires).

 

D’ailleurs quand tu as sorti In the volvo, j’ai pu voir des commentaires parfois sexistes et j’ai l’impression que ça arrive souvent aux artistes féminines malheureusement. Comment tu les as pris ? Tu étais consciente que ça pouvait arriver ?

Je ne m’y attendais pas du tout, je n’y avais pas du tout pensé. En plus je trouve que le clip est tellement innocent, tu vois. Mais ça m’a un peu faire rire parce que  je trouve ça triste. Et en effet si tu regardes tous les clips où il y a une fille dedans elle se prend toujours des commentaires genre “trop grosse”, “trop machin”…
Il y a quelque chose qui dérange les gens, mais il ne faut pas chercher à comprendre ça et il ne faut pas non plus essayer de se rendre plus invisible. Moi je fais mon truc et voilà.
J’ai pas encore eu de commentaires sur le clip de Girl In The City mais à mon avis il devrait y en avoir (rires), je les attends.

 

Pour le clip de Breakup song tu as fait un mashup de films, j’imagine à l’aide de ton téléphone, comme pour le clip de In The Volvo. C’est important pour toi de garder cette touche un peu « DIY » sur ton travail ?

Pour Breakup Song j’ai filmé ma télé où je mettais les films, et j’ai ausi fait In The Volvo à l’Iphone.
Oui c’est important de garder cette touche, mais au delà du DIY c’est de maîtriser tout ce que je fais.
Si j’avais des sous je ferais ça avec une caméra de ouf des années 80, mais je n’ai pas de sous, donc je fais soit ça avec mon iphone, soit avec une camera VHS, comme le clip de Girl In The City.
J’aime bien quand les clips sont centrés sur la musique. Aujourd’hui il y a tendance à faire des clips avec grave de budgets et je trouve que maintenant tout est hyper lisse. La normalité ce sont des clips hyper chers. Moi je trouve qu’il n’y a pas besoin de ça pour une chanson.
En plus je suis hyper maniaque de l’image donc j’aime bien quand c’est moi qui maîtrise du début à la fin.
Et mes clips me coûtent 0 euros.

 

Du coup c’est toi qui l’as fait aussi le dernier ?

Oui, il m’a coûté 15 euros celui-là, c’était juste pour la location du spot (rires). Et une nuit d’enfer, parce que ça m’a pris une nuit à le faire.

 

Le top 3 musical de Norma ?

Fiona Apple, PJ Harvey et Jack White.