Feu! Chatterton, bande son pour confiné.e.s nostalgiques

Nostalgiques de la vie d’avant (covid), désabusé.e.s d’un monde qui abandonne les embrassades, adeptes (des occupations) de théâtre, Feu! Chatterton vient de sortir un album qui n’a pas fini de tourner en boucle sur vos platines immortelles, celles qui seront toujours, même dans le monde d’après, celui d’après l’effondrement, un Monde nouveau

 

Feu! Chatterton, bande son pour confiné.e.s nostalgiques
© Antoine Henault

 

Palais d’Argile, voilà le poétique intitulé du nouveau projet du quintet parisien produit en collaboration avec Arnaud Rebotini, icône de la french touch. 

Trois ans après leur deuxième album le remarquable L’Oiseleur, les cinq membres de Feu! Chatterton, Sébastien Wolf, Clément Doumic (guitaristes et claviéristes), Raphaël de Pressigny (batteur), Antoine Wilson (bassiste) et enfin Arthur Teboul (chanteur et parolier), continuent de nous faire vibrer sur un romantisme rock empreint d’une douce mélancolie, à cela prêt que la production est cette fois assurément plus électronique. 

« Boîte à rythme analogique vintage » c’est à peu de choses près le titre qui désignait l’annonce de la Roland TR 808 acquise par le groupe, instrument d’exception qui aura peut-être enclenché plus d’une année de travail passionné et surtout fait naître cette volonté nouvelle de se tourner vers des sons résolument plus synthétiques.

Armé de cette nouvelle passion synthé, c’est ainsi que le groupe part dans les Cévènes monter un album initialement prévu pour la scène, et même plus encore, pour le théâtre des Bouffes du Nord à Paris. Deux semaines avant la représentation prévue pour avril 2020, l’événement est annulé. C’est le début d’un nouveau départ pour le projet bientôt rejoint par un mentor de renom, Arnaud Rebotini, célèbre producteur, connu auprès du grand public depuis son césar de la meilleure musique originale réalisée pour 120 battements par minute (2018).

 

 

À la fois maniaque du synthétiseur et mélomane indiscutable bien au-delà de son style de prédilection, l’arrivée d’Arnaud Rebotini sonne telle une prise de recul pour les musiciens.
Dès lors, le groupe écarte l’idée de superposer les arrangements, technique éprouvée sur les précédents albums, et opte pour des arrangements dont la simplicité se rapproche d’une configuration live.

Après des mois de foisonnantes sessions, toujours suivant un processus démocratique propre à leur bande de copains, pérégrinant des Cévennes, à Pantin en passant par l’antre sacrée des synthés du master, c’est finalement aux studios ICP de Bruxelles, à l’endroit-même où Bashung enregistrait son dernier album, que le groupe enregistre les 13 titres de Palais d’Argile.

Comme perpétuellement embarqué dans cette enivrante énergie de l’Ivresse, à l’occasion de cette nouvelle proposition, Feu! Chatterton nous embarque dans un monde fait de tableaux grandioses, de poésie et avant tout d’instants narratifs qu’on se plaît à savourer comme un roman qui conte notre propre histoire d’être humain désorienté dans un monde perpétuellement « nouveau » .

 

 

Nostalgiques d’un monde d’avant qu’on ne saurait trop situer, les textes d’Arthur Teboul, bien qu’écrits avant le covid, résonnent étrangement avec la situation inattendue de cette année noire. De cette impossibilité de déconnecter de nos écrans toujours plus présents (Cristaux liquides, Monde Nouveau), du mal d’un pays qui ne se reconnaît plus en ses politiques hypocrites, des promenades d’antan, des baisers d’avant, une ode à l’océan pour tous les maux qu’il subit, un souvenir qu’on veut garder pour continuer de voir le monde sous un jour meilleur, voilà globalement ce qu’aborde l’album et c’est prenant !
L’album laisse un temps pour tout, pour danser c’est certain, avec des titres comme Un Monde Nouveau et Ecran totale où la touche Rebotini est notable, mais aussi sur des titres beaucoup plus rock, presque punk et hors-normes dans la forme, avec Libre, morceau inarrêtable de 9min ! Il laisse aussi le temps, de rêver, de remettre en question notre condition d’humain (Aux confins, L’homme qui vient), puis l’espace d’un soupire d’1’30, de respirer profondément sur une session acoustique guitare-voix inattendue, Panthère. Évidemment, l’inspiration littéraire caractéristique de Feu ! se retrouve dans ce nouvel opus, et cette fois, ce n’est plus Eluard ni Baudelaire mis à l’honneur, mais Prévert avec la reprise de Compagnons, et William Butler Yeats adapté par Yves Bonnefoy dans Avant qu’il n’y ai le monde d’après le poème Before the world was adapté par Yves Bonnefoy. 

Que nous soyons « Compagnons seulement d’un mauvais rêve…» (Compagnons), ou bien semblables en quête d’un avenir plus dansant, en attendant les jours meilleurs, délectons-nous de ce souvenir d’un autre monde pour mieux entamer le prochain dans lequel nous dansons d’un pied déjà. Eperdu.e.s  de la Terre, déboussolé.e.s de la toile, ne scrollez plus, la bande son de vos nouveaux êtres confinés est là, et chose rare elle vous transportera en français.