Charlotte Fever : Interview

Il y a des chansons qui sonnent comme des évidences, qui rythment et accompagnent des instants de vie, tant le texte est musical et la mélodie enivrante. Ces chansons c’est comme si nous les avions toujours connues, dès leur première écoute.
C’est un peu l’effet des morceaux de Charlotte Fever, avec leurs mélodies terriblement efficaces et des paroles “reste en tête”. Comme si le groupe avait su décoder une partie du cerveau sensible à la musique, dans le gyrus temporal, qui stockerait tout ce que nous aurions écouté par le passé.
Nous les avons rencontré et avons parlé de choses un peu plus légères, comme les chanteurs de douche, le keytar, les quadragénaires ou l’érotisme des années 80.

Charlotte Fever : Interview
© Lao Ségur

 

Quel est votre parcours musical et comment est né Charlotte Fever ?

Alexandre : Je suis plutôt autodidacte. J’ai pris des cours de piano petit et au lycée j’ai commencé la guitare. Vers la fin du lycée, j’ai eu mon premier groupe de musique, The Sandcherries. C’était du rock psychédélique, un peu violent, stoner. Cassie est arrivée quand le projet était en fin de vie. Je ne me souviens pas exactement de notre rencontre, car nous nous connaissions avant, mais disons que musicalement, ça a été notre première collaboration.
Le projet terminé nous avons monté un duo ensemble, parce qu’on s’entendait bien musicalement. C’est de là qu’est né Charlotte Fever.

Cassie : C’est un peu pareil, j’ai commencé la musique au collège. Je voulais faire de la guitare électrique mais on m’a dit qu’il fallait faire de la guitare classique au Conservatoire avant. C’est ce que j’ai fait mais j’ai trouvé que la guitare c’était hyper chiant. Après un an de Conservatoire j’ai commencé la guitare électrique et je me suis rendue compte que c’était chiant aussi (rires).
Après j’ai toujours chanté, j’ai fait mon premier concert sur un parking quand j’étais plus jeune, devant des potes de mes parents et j’ai aussi eu mon premier groupe de musique au lycée.

En arrivant à Paris j’ai fait une école de musique, pendant deux ans. J’ai pris des cours de chant et j’ai refait de la guitare pour me persuader que j’aimais toujours pas ça. Avec Alex, on s’est rencontré à ce moment-là, par le bassiste de son groupe qui était dans mon école. J’allais à tous ses concerts, j’aimais bien le projet, et à la fin on a fait de la musique ensemble dans le groupe. Après on s’est lancé dans Charlotte Fever. Et c’est cool.

Alex : Il y a un truc que j’ai oublié, c’est que j’ai vite été un chanteur de douche. Je chantais beaucoup dans ma douche. Et après, dans mes projets, je suis surtout devenu chanteur, plus que guitariste et pianiste.

 

Tu voulais pas ramener une douche dans tes projets ?

Alex : Ca aurait été mortel, il y a un film qui illustre bien ce propos, avec un mec qui chante bien mais que dans sa douche, et il ramène sa douche sur scène pour que la magie opère (Ndlr : ‘To Rome With Love’, Woody Allen). C’est vraiment génial. Mais moi je n’ai plus besoin de douche pour chanter à peu près bien, enfin j’espère (rires).

 

Vous chantez et jouez tous les deux. C’est un truc que vous vouliez dès le début ?

Cassie : Le synthé c’était pas forcément évident pour moi, j’ai appris en travaillant avec Alex. J’avais envie, personnellement, d’enlever cette putain d’image des meufs qui ne font que chanter.
Après c’est aussi une manière pour nous de tout partager ; qu’on soit un vrai duo. Et ça permet d’avoir la liberté de se délester de ce qu’on veut faire.

Alex : Mais aussi parce que t’aimes bien le piano.

Cassie : Après toutes ces années de guitare… Finalement j’aurais du me mettre au piano dès le début. Bon, je n’ai pas la chance de toucher un vrai piano, mais en tout cas j’aime bien le synthé. Et bientôt je serais peut être assez douée pour m’acheter un keytar (rires).

Alex : Nous avions aussi envie de mélanger le côté simple et efficace. Ca fait une dizaine d’années que pas mal de groupes émergent avec cet espèce d’hybride entre chanteur/dj. Nous avions envie de ça et de rapporter un coté un peu geek de la musique, avec une guitare, des effets, des synthés… Une sorte de Daft Punk mais avec des instruments. Même si notre musique n’a rien à voir avec Daft Punk au final (rires).

 

Pour la composition c’est pareil ?

Alex : Au niveau de l’écriture, on fait tout ensemble. Les idées émergent énormément quand on déconne au studio.

Cassie : Oui, c’est l’échange qui fait naitre des trucs.

Alex : Au niveau de la réal, je mets peut être plus les mains dedans parce que je maitrise pas mal tout ce qui est texture sonore. Disons que j’ai un peu plus la main sur ce qui est habillage sonore.

 

Charlotte Fever : Interview
© Lao Ségur

 

Il y a un côté tropical qui ressort dans chacun de vos morceaux. C’est votre signature ?

Alex : Oui, c’est un truc qui nous plait pas mal.
À Paris il fait tout gris et ça me déprime. Au début du projet j’avais envie de ramener un peu de soleil dans notre studio et notre musique. Ça paraissait comme une évidence.

Cassie : C’est aussi tout ce que ça amène : on est pas forcément fan de plage mais on aime bien parler de corps et de sexualité. On rapproche les corps nus à l’univers de la chaleur, de l’humidité. C’est tout un univers ou paysage sonore, l’aspect tropical fait penser à tout ça. Par exemple Voyeur ne parle pas de plage, mais ça reste tropical avec la jungle dont parle le morceau. C’est une signature qu’on aime bien apporter.

Alex : Et personnellement, quand je vais composer quelque chose, je vois souvent des plages et des femmes nues.

Cassie : C’est pas un pervers ça va (rires). On est inspiré par les choses agréables de la vie.
Nous en avions déjà parlé avec Alex et on s’accorde à dire que visuellement le corps d’une femme est magnifique et sans doute plus esthétique qu’un corps masculin. Dans l’art la femme est depuis toujours omniprésente, mais c’est toujours l’art fait par les hommes ; les artistes masculins sont davantage mis en lumière. Suivez Charlotte Fever (rires).

Alex : On va peut être créer un peu de changement, on va peut être mettre un peu d’hommes nus dans nos chansons.

 

En parlant de personnes nues, quelle était l’idée derrière le clip de Gang Naturiste ?

Cassie : Les paroles sont simples et fraiches. Comme l’indique le titre, on devait avoir des personnes nues. L’idée c’était de montrer qu’il faut assumer son corps ; que c’est toujours agréable de voir des gens nus sur la plage, peu importe l’âge ou la dégaine. Parce que dans les paroles on parle de quadragénaires. Et dans le clip on a essayé d’avoir une mixité dans les corps.
Bon en vrai, on a demandé à nos potes, parce que personne n’a voulu se foutre à poil gratuitement (rires). Mais on a fait ce qu’on a pu pour montrer la mixité des corps : une personne ronde, une petite, une grande, quelqu’un avec une moustache, quelqu’un avec une calvitie… Ils sont tous beaux et c’est ça le pouvoir du truc : « J’aime te voir nu sur la plage » quel que soit ton âge et ton apparence.
On s’est beaucoup inspiré du second degré à la OSS 117 avec les couleurs des clips d’Angèle. On voulait que les gens puissent se marrer et en même temps on voulait montrer de la nudité, parce que c’est pas forcément évident sur les réseaux sociaux, comme Youtube ou Facebook, qui censurent. J’ai montré le clip à ma famille, ils n’étaient vraiment pas choqués. Ils étaient même chauds pour faire le Gang Naturiste 2 (rires). Au final, c’était une grande surprise ce clip. C’est même passé à la télé !
On trouve qu’il est hyper beau et il faut savoir que c’est autoproduit, on s’est un peu débrouillés tous seuls.

 

Il y aura donc un Gang Naturiste 2 ?

Alex : Oui, il y a une déjà une suite écrite. Ça sera surement Gang Naturiste 2 ou Gang Naturiste le retour.

Cassie : Il y aura aussi un nouveau clip. Moi j’aimerais beaucoup qu’on ai des personnes âgées ; l’idée c’était vraiment d’avoir une couleur dans les corps. Et puis je suis en train de lire Les Sorcières, un livre qui montre que le corps de la femme âgée a été considéré repoussant pendant des années à cause de conneries de l’époque. Alors que ça a son charme aussi.
Mais faut trouver des personnes âgées qui veulent se foutre à poil (rires). C’est pas évident.

 

Vos textes sont importants dans les morceaux. Quelles sont vos inspirations pour écrire ?

Alex : Sébastien Tellier beaucoup, pour moi, et Gainsbourg. Même La Femme par moment, dans les textes simples, efficaces, bien sentis et assez rentre dans ta tête. Et Baudelaire (rires). Non, je rigole. Par contre il y a Stromae aussi.

Cassie : Le but c’est de pouvoir faire des textes qui soient toujours très simples, que tout le monde puisse chanter et qui restent en tête. On voit les mots comme de la musique ; il faut que le mot soit musical.
Il faut aussi qu’il y ait du sens, on se perd parfois. De plus en plus, on prend aussi des sujets du quotidien et on se demande ce qu’on peut faire dessus. Mais la règle d’or c’est que ce soit simple et musical.

 

Vos influences musicales sont les mêmes ?

Alex : Ca dépend, mais on se rejoint sur pas mal de trucs.

Cassie : On a des gouts différents, variés. Moi j’écoute un peu tout. Mais en influence, pour ce qu’on a envie de faire, c’est les mêmes : Sébastien Tellier, Polo & Pan et Gainsbourg pour les textes. On y pense beaucoup.

Alex : L’influence rock australienne aussi : Pond, Tame Impala…

Cassie : Et dans la couleur des sons on aime bien les années 80.

 

Je vous ai vu deux fois en live et vous avez repris un morceau de Niagara. Toute cette scène vous influence ?

Alex : Carrément. C’est une influence majeure, on aime beaucoup.

 

Charlotte Fever : Interview
© Lao Ségur

 

Vous avez collaboré avec L’Impératrice aussi.

Alex : Oui, c’était pour Les Récréations Sonores. Le principe était que L’Impératrice faisait la base d’un morceau et des artistes proposaient des arrangements supplémentaires sur ce qu’ils avaient composé. Nous avons été sélectionné pour continuer l’arrangement du morceau avec eux. Ca a donné Geisha, qu’on peut trouver sur Spotify. J’ai mis une partie de guitare un peu funk/surf sympa et Cassie a sa voix sur deux couplets.

Cassie : On a eu de la chance parce qu’on a eu beaucoup d’espace sur le morceau.
Pareil pour les textes, on s’est dit qu’on partait sur de l’érotisme des années 80 justement. J’étais sur la découverte du livre ‘Emmanuel’, un roman érotique des années 80. Il est incroyable. Le milieu érotique me parle vachement, j’adore. La barrière est si fine entre l’érotisme et le porno : il y en a un très élégant et l’autre plus violent. Le porno on voit des images, direct, alors que l’érotisme tu peux t’imaginer plus de choses. Après si t’as une imagination violente dans l’érotisme….

Alex : L’érotisme est plus inspirant et artistique que la pornographie. La pornographie, non (rires).

 

Il y a d’autres artistes avec qui vous aimeriez collaborer ?

Alex : On est en train de bosser sur un projet avec Genoux Vener. On a commencé à poser les bases d’un morceau qui nous plait à tous les quatre. Sinon dans l’idéal pourquoi pas les Rolling Stones (rires). Je sais pas pourquoi je dis ça, j’écoute même pas leur musique.

Cassie : Moi j’aimerais beaucoup faire un featuring avec Lewis of Man parce que ça collerait totalement avec notre univers. On a des petites envies comme ça, après ça se réfléchit.

 

Vous avez des projets à venir ?

Alex : On va jouer aux Marmites Artistiques le 29 mars.
Et dans les projets concerts, nous avons une dizaine de chansons, assez mures, qui n’attendent plus que d’être mixées par un ingé son hors du commun.

Cassie : Il y a un clip en construction, qui va certainement sortir avant l’été.
Notre maison d’édition essaie aussi de nous arranger notre EP remixé par d’autres groupes. Mais c’est hors de notre zone de contrôle, donc on ne sait pas. Et puis l’année prochaine ce sera notre deuxième EP !

Alex : On aimerait faire des festivals cet été, mais il n’y a rien de sûr pour l’instant.
Et on va faire une tournée en Amérique centrale en Septembre.

Cassie : Et en Avril on part pour deux semaines en Corée du Sud alors on essaie de démarcher des salles.

 

Comment pensez-vous que le public étranger, qui ne parle pas français, va réceptionner votre musique ?

Alex : Autant en Corée, je sais que les coréens aiment bien les européens, autant en Amérique Centrale, je ne sais pas. Ils vont pas du tout comprendre ce qu’on dit, alors que comme tu le disais, nos paroles ont un impact dans nos morceaux. Il va falloir être expressif.

Cassie : Après c’est dans le cadre de l’Alliance Française, je pense que c’est des événements pour des gens majoritairement intéressés par le français. Mais c’est la vraie aventure.

 

Au fait, le nom de Charlotte Fever, c’est venu d’où ?

Alex : Charlotte c’est notre manager et avant tout notre amie. Le premier jour où on a composé avec Cassie on était tous les trois chez Cassie. Charlotte était malade et se sentait vraiment fiévreuse alors elle est allée à la pharmacie. On l’a laissé y aller seule, parce qu’il pleuvait dehors (rires) et c’est là qu’on s’est dit : « On fait de la musique et on voit ce que ça donne ». L’ordi était allumé, avec un contrôleur midi et on a chanté et posé deux ou trois textures.
D’ailleurs quand c’est né nous composions plutôt en anglais, mais nous avons tout de suite pris un gros plaisir à travailler ensemble. Les compositions c’est des choses qui se font souvent seuls et là il y avait une sorte de fusion, sans gêne. Nous avions réussi à créer quelque chose qui nous plaisait à tous les deux.
J’ai vécu ça comme une chance. C’est cool que Charlotte soit partie se soigner à ce moment là parce que c’est ce qui nous a donné l’opportunité de commencer le projet. Et puis on s’est dit « Charlotte était malade, elle avait de la fièvre, on va appeler le groupe, bah, Charlotte Fever ».

Cassie : Et on s’est dit que si on allait faire un concert au Québec on s’appellerait « Charlotte la Fièvre » et ça claque aussi (rires).

 

Donc vous avez commencé à écrire en anglais ?

Alex : On vient de l’anglais tous les deux, et notre niveau d’anglais a dit « Arrêtez, c’est une connerie, chantez en français » (rires).
L’anglais c’est très musique et catchy. Le français pas toujours, mais ces dix dernières années il y a beaucoup de groupes qui ont réussi à mettre le français en valeur, et de manière extrêmement intelligente. C’est grâce à eux, honnêtement, qu’aujourd’hui j’ai aucune honte et aucun problème à faire du français. C’est eux qui m’ont donné envie de le faire.
Depuis La Femme, voilà. Entre Gainsbourg et la Femme, il y a eu un truc bizarre qui s’est passé, on était mal à l’aise avec le français.

Cassie : C’est plus évident pour des français de chanter en français. Et ça donne aussi de belles opportunités, comme par exemple avec l’Alliance Française. Nous n’aurions pas eu ça si nous ne chantions pas en français.
Et plus tu écris en français, plus tu te rends compte que la langue est vraiment jolie. Nous avons mille mots pour dire un seul truc ; il y a une richesse énorme.

Retrouvez Charlotte Fever en concert le 29 Mars au festival les Marmites Artistiques.